Chapitre 2

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Avril 2010

Broken Children

Meredith Gould n'était que l'une de ces pestes précoces, trop gâtées par l'argent de papa et maman, qui prennent un malin plaisir à pourrir l'existence aux autres et à se défouler sur les plus faibles, sans raison.

Ce n'était qu'une vipère qui revenait chaque jour pour me mordre. Qui m'achevait à petit feu. Qu'il me fallait neutraliser.

Elle n'a eu que ce qu'elle méritait. Et en rien je ne regrette mes actes.

Meredith me détestait depuis mon entrée à l'Hewitt School. Ma tronche ne devait pas lui plaire. Je ne vois pas d'autre motif à cette haine primitive et infondée.

J'étais de surcroît une proie facile, parce que petite et silencieuse, parce que je n'avais pas d'amies, parce que j'étais plutôt solitaire, parce que ma famille n'était pas riche depuis des décennies et n'avait donc pas sa place au Saint des saints, dans la noblesse des temps modernes.

Il lui fallait un torchon sur lequel épancher sa colère d'héritière frustrée et sa méchanceté maladive. J'ai eu le malheur de me trouver sur son chemin.

Dès la sixième, elle s'est amusée, chaque jour de sa vie, à faire de la mienne un enfer. Par ses méprisants regards insistants, par ses remarques cinglantes sur ma coiffure ou mes notes, par ces petits rires entendus qu'elle échangeait avec ses toutous lors de mon passage, par les rumeurs qu'elle faisait courir sur mon orientation sexuelle ou sur l'origine sociale de mon père. On aurait dit qu'elle n'avait que ça à faire, que me réduire en bouillie était son unique objectif.

Nos mères sont devenues amies, ce qui n'a fait qu'augmenter la haine de Meredith. Comment sa mère osait-elle copiner avec des parvenus, des gens qui n'étaient encore rien il y a dix ans ?


Un jour de la fin de mon année de troisième, c'est arrivé.

Je me suis jetée sur elle, l'ai plaquée contre le carrelage du réfectoire, et de toute la rage contenue en mon être depuis déjà trop d'années, je me suis mise à la frapper. Comme une folle, comme une sauvage, comme une brute.

Réduite à l'impuissance, je la voyais pleurer, crier, sangloter, hurler. Saigner. Pisser le sang. Se vider de ce royal liquide rougeâtre. Quel bien cela me procurait, de la voir souffrir à son tour ! C'était une délivrance, ma vengeance pour ces cinq années de supplice, ma vendetta tant attendue. Je ne pouvais m'empêcher de sourire, de rire, même. Enfin elle obtenait ce qu'elle méritait, ce qu'au fond elle cherchait depuis tout ce temps : une réponse.

Je n'entendais pas les cris d'effroi poussés autour de nous par toutes ces fillettes en uniforme. Impuissantes. Incapables de se servir de leurs deux mains. De taper. De se battre. De défendre l'une des leurs.

Jouer au piano, peindre, écrire de beaux poèmes, faire de l'équitation, ça, oui, elles savent faire. Blesser verbalement, harceler psychiquement, encore mieux. Mais se battre ? Avec leurs corps frêles de petites filles privilégiées ? Certainement pas.

On a pourtant fini par nous séparer. Par violemment m'emporter loin du réfectoire. Par m'enfermer dans une cellule d'isolement. Seule. Plus seule encore que je ne l'avais jamais été durant ces quatre années.

Meredith s'est retrouvée à l'hôpital, avec un nez cassé et un œil sérieusement amoché.

On m'a dit que j'étais une vilaine fille, probablement imprégnée par le diable, que ce que j'avais osé faire était un scandale, qu'un événement d'une telle envergure n'avait encore jamais eu lieu dans cette prestigieuse école privée, qu'on avait honte de moi, que je serais le monstre noir de l'Upper East Side désormais, que les filles ne se battent pas, surtout celles de mon milieu, et n'agressent pas sans justification l'une de leurs camarades.

Je n'ai pas cherché à me justifier ou à me défendre, encore moins à m'excuser. Je n'avais pas de regrets. Pas le moindre.

On m'a aussi dit qu'on ne voulait plus de moi à l'Hewitt School, que je ne méritais pas la place sacrée qu'on m'avait gracieusement offerte, puis l'on m'a virée.

Les coups font mal, c'est vrai, mais au moins les plaies qu'ils ouvrent finissent toujours par se refermer. Les mots ont un peu le même effet, à une chose près : les blessures qu'ils créent ne cicatrisent pas. Jamais. Mais le plus terrible, c'est que vous êtes le seul à les savoir encore béantes, à tout jamais ancrées en vous.

Break Your WallsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant