Je rentre dans le métro et je fais face à un tas d'âmes remplies de vie - mais surtout de morts. Tous morts à l'extérieur comme à l'intérieur. Ils se laissent pourrir, dépérir devant des conneries à la télévision, devant les infos et scènes de ménage. Parfois quand ils veulent faire les intellos ils mettent un peu Arte, mais ils n'y comprennent rien et finissent par s'endormir avec une bouteille de coca à côté de leur siège. Ils sont pâles à voir parce qu'ils ne dorment pas, trop occupés à décortiquer, lire et analyser des chiffres qui n'ont pas plus de sens que leurs existences pathétiques. Le monde est un Ionesco que j'ai arrêté d'essayer de déchiffrer. On éclate de rire devant des blagues de cul et on écarte des rangs ceux qui essaient d'avoir un tant soi peu de réflexion. La bienséance est à la connerie, c'est pour ça que Tpmp cartonne et qu'on fait des émissions de débat où le débat n'existe pas car chacun est là en train de masturber l'intellect de l'autre qui a été payé pour venir vous parler des bienfaits du lait.
Je rentre dans le métro et j'ai même pas envie de sortir à la station Malesherbes pour aller en cours. J'ai pas envie d'écouter parler mon professeur qui pourrait embrasser son livre dont il est si fier et qu'il fait acheter pour quarante balles à la fnac. On nous parle des mythes, de Prométhée et de Œdipe, on nous dit que sans ça l'homme ne peut pas évoluer car il doit apprendre de ses erreurs. Pourtant j'en vois un tas d'erreurs que l'on reproduit sans cesse sous l'état primaire que l'on retrouve dès qu'on a un peu peur. On est des baltringues qui essaient de se convaincre de notre consistance en invitant nos amis à prendre un verre chez nous pour faussement débattre sur les sujets de société dressés par TF1.
Je rentre chez moi le soir les mains dans les poches en écoutant Fauve. Mais même là j'me dégoûte. Fauve ou le groupe qui exploite l'amertume des jeunes avec des paroles trop clichées. J'finis par changer et me mettre un peu de Saez, malgré sa voix pas toujours belle les mots crachent un échos qui se répercute contre mon coeur séché.
J'arrive dans cet appartement crade - trop propre pour être beau. Un deux pièces de plus de vingt mètres carrés vers Trocadéro c'est trop pour une pauvre conne pour moi. Mais c'est comme ça que mes parents se rassurent en m'ayant envoyée dans la capitale. Pourtant ils sont pas loin - Neuilly c'est la porte d'à côté. Mais ils ont bien fait, j'me dis, j'avais marre de les voir de leur parler, de me forcer à faire semblant d'apprécier la société le monde le bruit et les gens. Je préfère le silence, dans le silence ça parle bien, ça ne parle pas pour rien dire car dans le silence il n'y a que des pensées et la pensée elle est vraie - pas comme le jacassement perpétuel des parisiens en quête de reconnaissance.
Parfois j'ai quelques "potes" qui refusent de me laisser partir. Il me disent "Allez viens Eva !" avec un rire gras et un sourire qui pue le sel des larmes mal essuyées la veille. J'ai beau être chiante je n'en suis pas méchante, alors j'accepte en trainant des pieds, et ils m'emmènent là où les soirées sans sens sans âme et surtout sans retenue se font. St-Michel c'est pas bien loin et ils finissent tous la gueule dans la cuvette ou entre les cuisses d'une conne qui va finir le lendemain à découvert - dans tous les sens du terme. Moi j'les surveille pas parce qu'ils m'ont déjà épuisée à me tirer dans ce coin qui pue la pisse et la baise. Je préfère boire quelques verres pour oublier où je suis - et surtout pour ne plus avoir que l'odeur de ma propre haleine. En général ça fini toujours dans des draps perdus d'une fille en pleine question sur sa sexualité. Mais heureusement une fois l'alcool envolé l'hétérosexualité reprend sa place et je peux m'en aller sans avoir à me justifier.
Ma vie est toujours la même, un cycle infernal, un enfer trouvé bien trop tôt. Je suis déjà dans l'un des cercles de Dantes et j'ai même plus le goût à me relever. Certains ne comprennent pas, ils m'disent "T'as la belle vie tu sais" "Tu pourrais faire pleins de choses, t'es pas pauvre, t'es pas conne et t'es pas moche". Ouais mais quand je vois que dans ce monde le plus valorisé est celui qui aura eu la palme d'or de la médiocrité, j'préfère me laisser crever la gueule grande ouverte - et les pensées enflammées.
Le coeur arrêté depuis bien avant cette mort tant attendue.
Et ce rictus en guise de balafre,
Amertume de la survie.