Chapitre 3 Partie 4

20 6 3
                                    

Le regard dans le vague, je regarde les arbres défiler à toute vitesse derrière le carreau. La pluie tambourine contre les vitres. Nous sommes les seuls sur la route. Le ciel s'est si vite couvert... La pluie tombe à torrent, parfois quelques éclairs déchirent le ciel. A chaque éclair, il me semble entendre encore le bruit de la détonation... Les images repassent en boucle dans ma tête, comme un cercle sans fin.

- Je crois que tu as des choses à me dire, je glisse à Gabriel, au volant.

Je n'ose même pas le regarder dans les yeux. Je revois sans cesse son expression dégoûtée, je revois la tâche sombre sur ce corps immobile. J'ai la désagréable impression d'être complice...

Un air lourd pèse dans la voiture. Le trajet jusqu'à chez lui me parait interminable. La pluie a redoublé d'intensité, et nous nous mettons vite à l'abri. Je ne suis pas très rassurée. Il a tué un homme...

La pluie tambourine sur la baie vitrée près du canapé, où je m'assois. Gabriel enlève sa veste qu'il pose sur une chaise, desserre sa cravate et enlève quelques boutons de sa chemise.

- Tu veux boire quelque chose ? me demande-t-il.

- Non.

Je veux juste savoir. Je veux savoir ce qu'il me cache, qui il est vraiment. Il avance lentement vers moi, l'air calme. C'est étrange d'être aussi posé après avoir fait une chose pareille...

Il ne semble pas pressé de s'expliquer. Tranquillement, il s'assoit près de moi et allume une cigarette.

- Tu fumes, toi ? je ne peux m'empêcher de demander.

- Parfois. La fumée te gêne ?

- Non...

Je ne suis pas à l'aise. Je ne trouve pas le bon moment pour aborder... ça.

- Tu veux savoir, hein.

Gabriel termine sa cigarette, l'écrase dans le cendrier et fixe son regard dans le mien, comme s'il voulait lire en moi...

- Tu aurais peur.

Sa voix est si assurée... Est-il habitué à ce que les gens réagissent ainsi ?

- Qu'est-ce que tu en sais ? je réponds assez sèchement.

- Je le suppose.

- J'ai vu ta chambre tout à l'heure.

Comme je m'y attendais, cela eut l'effet d'une bombe. Il me dévisagea quelques secondes, l'air interloqué, sourcils froncés.

- Tu l'as vue quand ? me lança-t-il d'une voix glaciale.

- Peu importe. Et je ne me suis pas enfuit en courant. Alors t'as intérêt à me raconter la vérité.

- Dans ce cas, si tu as vu ma chambre, je n'ai plus rien à te dire je suppose que tu comprendras toute seule.

- Ça fait longtemps que tu fais ce genre de choses ?

- Depuis que je suis gamin.

Un grand silence s'abattît. Gabriel est tendu maintenant, je le sens. Je ne sais pas sur quel terrain je me suis engagé, mais je le sens mal.

- Tu as tué un homme.

De nouveau un silence. Beaucoup plus long celui-là. On entend la pluie redoubler de force, se fracassant contre la baie vitrée. Seule une lumière faible nous éclaire, et soudain Gabriel me parut effrayant. Cet homme perverti, silencieux près de moi, alors que le temps se déchaîne dehors, tout cela commence à faire monter mon adrénaline.

- Tu aurais préféré qu'il te blesse ?

- Non ! Tu aurais pu m'aider sans le tuer, bordel !

- Ne t'énerve pas, j'ai fait ce que je devais faire.

- Ce que tu devais faire ?

- Il allait mourir de toute façon. Tu l'as bien vu.

- Qu'allait-il lui arriver ?

Il me regarde d'un air hésitant, et soupire.

- Il allait mourir, c'est tout.

- Pourquoi ?!

- Tu es trop curieuse, Louise.

Gabriel se lève tout-à-coup, enfile un épais gilet dont il rabat la capuche.

- Eh, tu fais quoi ? Ça t'emmerderais de me répondre ?!

Sans dire un mot, il ouvre la baie vitrée et se glisse dehors, à moitié protégé par l'épaisseur des murs de la maison, tout en s'allumant une autre cigarette. Déterminée à obtenir une réponse, je mets sa veste de soirée et me faufile près de lui. Il ne réagit pas, la pluie dégoulinant le long de ses cheveux noirs tombants sur son visage.

- Il était possédé.

Possédé. Par quoi ? Un esprit je suppose. Est-ce violent à ce point ? Un petit rire m'échappe alors.

- Et tu crois qu'en le tuant lui l'esprit mourra ? Tu ne te moquerai pas un peu de moi par hasard ?

- Tu ne peux pas comprendre, Louise. Il a complètement détruit ses défenses. Il était trop vulnérable. Il est devenu une marionnette pour n'importe qui, ou plutôt n'importe quoi, tu saisis ça ? Une force l'aurait de toute manière consumé.

- Je n'y crois pas aux esprits. Ce ne sont que des phénomènes dont on ne connaît pas encore la raison ni le fonctionnement.

- C'est un sujet très polémique.

- Oui mais on va s'arrêter là. Je n'ai pas du tout la tête à vouloir débattre sur ce genre de conneries.

La pluie commence à sérieusement s'infiltrer sous la veste de Gabriel. Bientôt, ma robe se glace aux épaules.

- Je ne chercherais pas à te convaincre, Louise. Tu crois en ce que tu veux. Mais ne vient pas pleurnicher s'il t'arrive quoi que ce soit.

Un froid s'installa entre nous. Gelée, je décide de rentrer sans un mot. Troublée par cette discussion, je jette sa veste sur une chaise et m'allonge sur le canapé, saisissant un énième gilet au vol. Emmitouflée dedans, mes yeux se ferment, le bruit de la pluie à travers la baie ouverte me berçant. Le temps s'écoule doucement, et je distingue à peine Gabriel rentrer.

- Louise ?

Le son de sa voix roule jusqu'à moi, me fait frissonner. Lentement, je sens sa main passer dans mes cheveux avec une tendresse profonde, mais je n'ouvre pas les yeux. Sa main me trouble, et j'entends seulement cette petite phrase avant de m'endormir :

- Dors bien, ma Louise...

Pour lui ...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant