Nouvelle et sublime invention de Charles

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Charles rentra... Après avoir quitté l'intérieur doux et paisible de ses jeunes cousines, il rentra dans celui tout différent de Mme Mac'Miche. Betty le reçut d'un air effaré.
« Vite, vite, Charlot, ta cousine te cherche, t'attend je l'entends aller, venir, ouvrir sa fenêtre ; monte vite. »
Charles soupira et monta lentement, les yeux et la tête baissés, bien décidé à se contenir et à ne pas s'emporter. Au haut de l'escalier l'attendait Mme Mac'Miche, les yeux brillants de colère. Mais quand Charles leva la tête, quand elle vit la trace de ses larmes, sa physionomie exprima une joie féroce ; et, au lieu de le gronder et de le battre, elle se borna à le pousser rudement en lui disant
« Dépêche-toi donc ; tu avances comme une tortue. Ah ! ah ! monsieur a enfin les yeux ronges ! Tu ne diras pas cette fois que tu n'as pas pleuré ?

CHARLES.
Je suis fâché, ma cousine, de vous enlever la satisfaction de m'avoir fait pleurer, répondit Charles dont les yeux et le teint commençaient à s'animer ; j'ai pleuré, il est vrai, mais ce n'est pas de la douleur que m'ont causée vos coups ; j'ai pleuré d'attendrissement, de tendresse, d'admiration !

- Pour moi ! s'écria Mme Mac'Miche fort surprise.

CHARLES.
Pour vous ? Oh ! ma cousine ! »
Et Charles sourit ironiquement.

MADAME MAC'MICHE, piquée .
Je m'étonnais aussi qu'un mauvais garnement comme toi pût avoir un bon sentiment dans le cœur.

CHARLES, ironiquement .
Ma cousine, je suis juste, et il ne serait pas juste de vous ennuyer d'une tendresse que vous ne recherchez pas et qui n'a pas de raison d'exister.

MADAME MAC'MICHE.
Tu as bien dit ! Je serais contrariée, mécontente de te voir de l'affection pour moi ; et je te défends de jamais en avoir.

CHARLES, de même .
Vous êtes sûre d'être obéie, ma cousine.

MADAME MAC'MICHE.
Impertinent !

CHARLES.
Comment ? C'est impertinent de vous obéir ?

MADAME MAC'MICHE.
Tais-toi. Je ne veux pas que tu parles ! Je ne veux plus entendre ta sotte voix... Prends mon livre et assois-toi. »
Charles prit le livre d'un air malin, légèrement triomphant, et s'assit.
La cousine le regarda et fut surprise de n'apercevoir aucun symptôme de souffrance dans les allures de Charles.
« C'est singulier ! pensa-t-elle ; je l'ai pourtant fouetté d'importance. Eh bien ! Charles, commence donc ! »
Charles tenait le livre ouvert et lisait, mais aucun son ne sortait de sa bouche.

MADAME MAC'MICHE.
Ah çà ! vas-tu lire, petit drôle ? Faut-il que je continue la schlague de ce matin ? »
Pas de réponse ; Charles restait immobile et muet.

MADAME MAC'MICHE.
Attends, attends ; je vais te rendre la voix ! »
La cousine prit sa baguette placée près d'elle ; mais quand elle se leva, Charles en fit autant et courut à la porte. Mme Mac'Miche le poursuivit et l'attrapa par le fond de sa culotte pendant qu'il tournait la clef dans la serrure, difficile à ouvrir. Mme Mac'Miche le lâcha de suite en faisant un « Ah ! » de surprise et resta immobile.
« Polisson ! gredin ! s'écria-t-elle. C'est comme ça que tu m'attrapes ! C'est comme ça que tu me trompes ! Ah ! tu as du carton dans ta culotte ! Et moi qui m'étonnais de te voir si leste et dégagé comme si tu n'avais pas reçu plus de coups que tu n'en pouvais porter ! Ah ! tu n'as rien reçu ! Attends, je vais te payer capital et intérêts. »
Mais Charles avait réussi à ouvrir la porte ; il courait déjà, et, avant de disparaître, il lui lança cette phrase foudroyante :
« Mes intérêts de mes cinquante mille francs placés chez vous par mon père ! Merci, ma cousine. Je vais en prévenir le juge de paix. »
Mme Mac'Miche resta pétrifiée ; la baguette qu'elle tenait s'échappa de ses mains tremblantes ; elle s'écria, en joignant les mains d'un geste de désespoir :
« Il le sait !... Il va le dire au juge de paix, qui a déjà entendu parler de ces cinquante mille francs... Mais il n'a aucune preuve... Et ce Charles de malédiction !... comment l'a-t-il su ? qui a pu le lui apprendre ?... Personne ne doit le savoir ; je l'avais fait si secrètement, et mon cousin était déjà si malade, qu'il n'a pu le dire à personne. Il ne voyait que Marianne, et bien rarement encore,... et toujours en ma présence. Et le reçu ! il l'a brûlé, il me l'a dit. Est-ce que Charles se serait emparé de ma clef ? Aurait-il fouillé dans mes papiers ?... Si je savais !... je l'enfermerais dans une cave dont j'aurais seule la clef !... personne que moi ne lui porterait sa nourriture !... et il y mourrait !... Il faut que je voie ; il faut que je m'en assure. »
Mme Mac'Miche tira d'une poche placée sur son estomac une clef qui ouvrait une caisse masquée par une vieille armoire et scellée dans le mur ; avec cette clef, d'une forme étrange et particulière, elle ouvrit la caisse, en tira une cassette dont la clef se trouvait dans un coin à part sous des papiers, ouvrit la cassette et trouva tout en ordre. Elle compta ce qu'elle avait de revenus, de capitaux.
« J'avais cent vingt mille francs, dit-elle ; j'en ai deux cent mille à présent ; plus, les cinquante mille francs de ce Charles, dont il n'aura jamais un sou, car personne n'a de preuve écrite de ce placement de son père ; et l'argent a été depuis replacé en mon nom !... Voici encore les économies de l'année... en or, en belles pièces de vingt francs. »
Elle compta.
« Onze mille trois cent cinquante francs... J'ai donc dépensé dans l'année mille cent cinquante francs. C'est beaucoup ! beaucoup trop ! C'est Charles qui me coûte cher ! Sans lui, je n'aurais pas Betty ! je vivrais seule !... C'est bien plus économique, et plus agréable, par conséquent... Comment me débarrasser de ce Charles !... À qui le donner ?... »
Pendant qu'elle réfléchissait, tout en maniant et contemplant son or, Charles était allé rejoindre Betty.
Après lui avoir raconté ce qui l'avait tant ému chez Juliette, et les bonnes résolutions qu'il avait formées :
« N'est-ce pas désolant, ma bonne Betty, dit-il, que ma cousine m'empêche d'être bon ? Je le voudrais tant ! Je suis si content quand j'ai pu retenir mes emportements, ou mes sentiments de haine et de vengeance !... Mais je ne peux pas ! Avec elle, c'est impossible ! Ah ! si je pouvais vivre chez Juliette ! comme je serais différent ! comme je serais doux, obéissant !...

BETTY.
Doux ! Ah ! ah ! Doux !... Jamais, mon pauvre Charlot Tu es un vrai salpêtre ! un torrent ! un volcan !

CHARLES.
C'est elle qui me fait tout cela, Betty !... Ah ! mais, une chose importante que j'oublie de te dire, c'est qu'elle a découvert que ma culotte était doublée.

BETTY.
Mon Dieu ! mon Dieu ! nous sommes perdus ! À l'avenir, quand elle voudra te battre, elle t'arrachera ta pauvre culotte, qui ne tient déjà à rien. Que faire ? Comment l'empêcher ?

CHARLES.
Écoute, Betty, ne t'afflige pas ; j'ai une bonne idée qui me vient ! Tu sais comme ma cousine est crédule, comme elle croit aux fées, aux apparitions, à toutes sortes de choses du genre terrible et merveilleux ?

BETTY.
Oui, je le sais ; mais que veux-tu faire de ça ? Nous ne pouvons recommencer la scène de l'autre
jour.

CHARLES.
Non, pas tout à fait ; mais voilà mon idée : nous allons découper deux têtes de diables dans du papier noir ; nous ferons des cornes et une grande langue rouge nous aurons de la colle, et tu colleras ces têtes sur ma peau à la place que couvraient les visières de mon cousin Mac'Miche ; quand ma cousine voudra me battre, je la laisserai m'arracher ma culotte, et tu juges de sa frayeur quand elle verra ces deux têtes de diables qui auront l'air de la regarder. »
Betty, enchantée de l'invention, se mit à rire aux éclats ; elle ne tarda pas à entendre le pas lourd de Mme Mac'Miche, qui, inquiète d'entendre rire si franchement, descendait sans bruit, croyait-elle, pour surprendre Betty en faute.
« La voilà ! mon Dieu ! la voilà ! dit tout bas Betty.

CHARLES.
Tant mieux ! je vais préparer les diables. »
Avant que Betty eût eu le temps de demander à Charles des explications, Mme Mac'Miche entra.
« De quoi riez-vous ? Pourquoi Charles est-il ici ? Est-ce une méchanceté que prépare ce petit scélérat ?

CHARLES.
Oh non ! ma cousine ! soyez tranquille. Je riais parce que le juge de paix m'a dit : « Tu es un vrai diable Je parie que tu en portes les marques. » Et moi j'ai répondu : « Ce ne serait pas étonnant, car les fées m'ont promis tout à l'heure de me « protéger ». Et le juge a eu si peur qu'il m'a mis à la porte, criant que j'attirais les fées dans sa maison. Et Betty me disait que si j'étais réellement protégé par les fées, tous ceux qui me toucheraient leur appartiendraient.

MADAME MAC'MICHE, effrayée .
Il n'y a pas de quoi rire dans tout cela ; c'est très bête !... C'est une très mauvaise plaisanterie, et je vous prie de ne pas la recommencer avec moi. Et prenez garde que cela ne vous arrive tout de bon ! Vous êtes si méchants, que les fées pourraient bien s'emparer de vous...

CHARLES.
Ce serait tant mieux, car à mon tour je m'emparerais de vous et je vous donnerais aux fées. »
Charles, en disant ces mots, regarda fixement sa cousine et s'efforça de prendre une physionomie si extraordinaire, que Mme Mac'Miche, de plus en plus alarmée, sentit tout son corps trembler et ses cheveux se dresser sur sa tête.
Charles fit une gambade, une culbute, un saut vers la porte et disparut. Mme Mac'Miche crut qu'il avait disparu sur place, tant elle était troublée des paroles de Charles.

MADAME MAC'MICHE, tremblante.
Betty, Betty ! crois-tu réellement que ce mauvais sujet soit ami des fées ?

BETTY, faisant semblant de trembler aussi.
Madame! Madame ! Je crois..., je ne sais pas,... j'ai peur ! Ce serait terrible ! Qu'allons-nous devenir, bon Dieu ! Aussi, Madame l'a trop mis hors de lui ! Madame l'a trop battu ! Dans son désespoir, il se sera retourné du côté des fées.

MADAME MAC'MICHE, tremblante.
Mais il n'a rien senti, puisque j'ai découvert qu'il avait doublé le fond de sa culotte avec du carton.

BETTY.
Du carton ! Et où aurait-il eu du carton ? Qui est-ce qui lui en aurait donné ? Madame voit : c'est quelque tour des fées.

MADAME MAC'MICHE.
Mon Dieu ! mon Dieu ! Betty, cours vite à la fontaine de Fairy-Ring, va me chercher de l'eau [1] ; nous en jetterons partout sur lui aussi, sur ce maudit, quand il viendra. »
Betty partit en courant.

Un Bon Petit DiableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant