C5bustion

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Nous (ils) n'aidons pas les anomalies.
Nous (ils) les tuons devant le Peuple.
Après tout, ces anomalies (je) n'ont pas à exister.

*

« - On m'a transféré aux Cases. »

Là, c'est carrément étrange. J'ai fait ma formation militaire avec lui, et HoSeok est l'un des meilleurs éléments que je n'ai jamais rencontré. Il est né pour être un soldat car le Front est fait pour lui.

Pourquoi l'ont-ils muté ici alors qu'il brillerait sur les champs de bataille ?

Pourquoi lui, surtout. Il y a d'autres soldats moins compétents.

Je fronce les sourcils et m'éloigne de ta Case pour lui faire une accolade. Quand je suis près de son oreille, je murmure :
« - Pourquoi toi ? »
Il ne répond pas. Ne laisse rien paraître. S'installe sur le canapé qui grince. Mais malgré sa désinvolture de façade, je vois la tension dans ses épaules et le tic nerveux de son œil. Alors, je m'assois à sa gauche, dans la même position, mais pas trop près parce qu'il n'aime pas quand on l'envahit.

(Un peu comme vous.)

J'attends qu'il parle pendant que mes yeux effleurent les résistants dans les Cases.
Le Roi des Aulnes est tapi dans un coin de ma tête ; des bribes d'une langue surgissent parfois et veulent rouler sur mes lèvres. Mais je les retiens. Parce que tu as ouvert les yeux et que tu nous regardes.

(De tes yeux noirs si particuliers.)

-Papa, je veux faire de la musique avec mes mains.
-Tu tueras avec elles.

Dans la Case du fond se trouve un homme. Il semble âgé, mais pas moins combattif. Ses rides creusent son visage en des centaines de sillons et ses lèvres sont si fines sur sa peau craquelée que j'ai l'impression qu'il pourrait tomber en cendre. Mais ses yeux luisent si fermement que son désir de vivre est ardent.

À droite, une femme. Ca m'étonne d'en voir une, car dans mon peuple, une femme ne serait jamais soldat, ni occuperait un poste important. Elle aussi est assez vieille et j'en déduis que c'est l'épouse de l'homme-papyrus. Ses cheveux sont longs et blancs, mèches filasses contre ses épaules ; elle oscille d'avant en arrière sans s'arrêter.

Dans la B11, il y a un autre homme, mais il est plus jeune. Sa peau brune est tannée par le soleil et il a les yeux verts. Il est allongé sur le matelas, semblant dormir mais c'est un leurre. Je l'ai vu se gratter trois fois le front tout à l'heure.

Encore à droite, une adolescente dessine sur le mur. Elle a récupéré une espèce de craie blanche et fait apparaître de grands paysages. J'aime bien ce qu'elle fait, c'est beau. Mais si ses dessins sont exceptionnels, elle est d'une banalité affligeante.

Je ne m'attarde pas sur elle parce qu'HoSeok parle soudainement.
« - Tu préfères veiller la nuit ou le jour ?
- La nuit. »
Comme ça, personne ne nous entendra parler. Mais ça, je ne lui dit pas.
« - OK.
- HoSeok.
- Oui ?
- Dis-moi ce que tu fous là. T'étais le meilleur de la promo, c'est du gâchis que tu sois à la surveillance.
- J'sais pas, Tae. J'sais plus.
- Tu sais plus ou tu ne peux pas en parler ? »

Il enfonce sa tête dans ses mains et je me tais. J'aimerais comprendre, mais HoSeok est ce que je considère comme un ami, alors je ne veux pas le forcer. Il inspire et expire plusieurs fois, puis il relève la tête. Son regard est grave, sérieux ; je me tends à ses côtés.
« - Tu veux vraiment savoir ?
- Oui.
- C'est confidentiel. S'ils apprennent que j'en ai parlé, je suis mort. »
Je déglutis et sens tes yeux sur moi. Tu écoutes, je le sais, je le sens.
« - Un mec haut-placé m'a fait une proposition. Et j'ai refusé.
- Attends, juste pour ça ?
- Ouais.
- C'était quoi, cette proposition, pour qu'il renvoie du Front leur meilleur élément ?
- Je devais rejoindr-»

Requin-Tendre | TaeKookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant