Chapitre 10

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Un rayon de soleil chaud caresse le visage de Freyja et lentement, la jeune fille ouvre les yeux. Elle a un peu mal à la tête tandis que ses yeux désorientés observent les parages – sur la large pelouse, des hommes et femmes dorment tandis que des cendres volent au vent et les rubans colorés de l’arbre de mai flottent de manière presque fantomatique. Doucement, elle s’appuie sur ses mains et se pousse vers le haut pour s’assoir. Son corps nu est parcouru d’un frisson tandis qu’elle se passe un doigt le long du ventre. Des restes de couleur bleu et de noir s’accroche. Freyja se passe sa langue sur les lèvres puis doucement, doucement, se lève. Elle se tourne et voit au loin la maison de Kild. La jeune fille se passe une main dans les cheveux où se mêlent fleurs et terre et tente de se remémorer exactement ce qui s’est passé le soir précédent. Ses souvenirs sont vagues, flottant, comme un rêve lointain. Elle se souvient avoir ri, avoir dansé, avoir bu. L’alcool doit avoir effacé une partie de sa mémoire déjà abimée. Freyja soupire et avance en titubant légèrement, ignorant les corps endormis et nus s’enroulant les uns autour des autres. Elle marche jusqu’à entrer dans la maison. A l’intérieur, il n’y a pas un bruit et la jeune fille se laisse lourdement tomber sur une chaise –
« Freyja ! », s’exclame Agda qui au même moment pénètre dans la pièce, encore vêtue de sa tunique blanche, les cheveux tombant en longue tresse sur son épaule. Freyja lève les yeux vers elle et sourit faiblement.
« Agda. », murmure-t-elle et la femme s’approche, l’observe quelques instants puis rit à gorge déployée en posant une main sur l’épaule de Freyja.

« Oh ! Il semblerait que quelqu’un ait trop bu hier soir !»
Ne pouvant s’empêcher, la jeune femme rit à son tour, en secouant la tête d’un air désespéré. Agda lui donne une petite tape sur la joue puis lui verse un peu de lait dans un gobelet.
« Tiens, bois, ça va t’aider ! Du lait tout frais – y en a qui travaille malgré tout ! »
Freyja boit une gorgée après avoir remerciée Agda.
« Où est Kild ? », demande-t-elle et Agda lève les yeux au ciel, presque exaspérée.
« Qui sait ! », s’exclame-t-elle de sa voix forte, « Ce vieil homme n’en ait qu’à sa tête – ça fait maintenant plusieurs heures qu’il a disparu sans un mot ! »
Freyja sourit contre son gobelet en fermant un peu les yeux. Sacré Kild. Brusquement, elle sursaute lorsque dans sa mémoire embrouillée apparaît un visage inconnu, légèrement flou. Un homme aux yeux bleus et cheveux blonds. Lentement, la jeune femme pose son gobelet sur la table et relève ses yeux vers Agda qui fulmine encore à cause de Kild.
« Agda », demande-t-elle à nouveau, tandis que son cœur accélère brutalement d’excitation. Je me souviens de quelque chose ! Je me souviens ! Elle tente de garder une voix calme. « Agda, préviens-moi lorsque Kild rentre, d’accord ? » La femme s’arrête un instant et lance un regard intrigué à Freyja qui se relève, le verre de lait et le mal de tête oublié. Elle avance jusqu’à sa chambre, enfile une tunique en laine, ses pensées tournant autour du minuscule bout d’information que sa mémoire a bien voulu lui donner. D’un pas décidé, elle va remplir un baquet d’eau à l’extérieur avant d’inspirer profondément. Elle plonge sa tête dans le liquide glacé, d’un seul coup. Son corps est parcouru d’un frisson électrifiant glacé. Freyja ressort la tête et se brosse et nettoie ses cheveux sales et emmêlées, se mordillant la lèvre.
Des cheveux blonds.
Des yeux bleus.
Bleus.
Blond.
Elle ne se souvient plus de son nom. Freyja sert les poings, faisant travailler sa cervelle. Elle veut savoir, elle veut trouver des réponses.
« Freyja ! Kild est de retour ! », crie la voix d’Agda et la jeune fille inspire profondément en se tressant les cheveux humides. Elle allait y arriver. Elle n’avait pas le choix. Elle sort de la pièce et rejoint le vieil homme. Lorsqu’elle l’aperçoit, elle se fige un instant. Kild a l’air d’avoir vieilli, les yeux fatigués, les épaules courbées, les rides plus profondes. Il la voit et sourit doucement, presque tendrement et s’approche d’elle à pas lents.
« Freyja, ma petite. »
Quelque chose dans le son de la voix du vieil homme sonne faux et Freyja ne sait pas comment réagir tandis qu’une petite voix s’inquiète dans sa tête.
« Kild ? »
Le vieil homme se racle la gorge et semble hésiter quelques instants.
« Freyja… », répète-t-il et soupire, « Comme tu peux le voir, je ne suis plus tout jeune. La vie me quitte peu à peu et dans quelques années, je ne serai plus qu’un tas de cendre et – »
« Kild ! –»
« Laisse-moi finir, petite. Je ne sais pas combien de temps il me reste à vivre mais je souhaite que toi, toi jeune et jolie petite Freyja, tu ais la vie que tu mérites. Je te considère comme ma fille : je souhaite que mes biens te reviennent à toi et ton futur mari car tu es ma seule héritière. Mais ce n’est pas tout : tu es intelligente et je souhaite que tu puisses d’éduquer. Je reviens d’un ami guérisseur qui a accepté de te prendre sous son aile. »
Freyja cligne des yeux.
« Kild… mais… Alors… »
Le vieil homme sourit.
« Il n’est de visite seulement pour quelques jours, tu devras l’accompagner lorsqu’il rentrera dans son village. »
La jeune fille déglutit. Elle sait que Kild n’a que son bien en tête et que sa proposition est une occasion qu’elle ne peut pas manquer, mais quitter le vieil homme, son rire fort et ses histoires sordides, quitter Agda et son air jovial, quitter la ferme avec son bruit des travailleurs, l’odeur du foin et des bêtes… Freyja a peur.
« Ne t’inquiète pas. », dit alors Kild, « Une fois ton apprentissage fini, tu pourras revenir. Petite, tu as toute ta vie devant toi ! »
Freyja secoue anxieusement la tête.
« Mais je ne me souviens pas de toute une partie de ma vie et je me remets tout juste ! J’arrive à remarcher que depuis peu ! »
Le vieil homme lui pose une main rassurante sur l’épaule.
« Peut-être qu’il pourra t’aider en tant que guérisseur. Freyja, tu es une des femmes les plus fortes que je connaisse, tu as survécu à la mort où n’importe qui d’autre aurait succombé. Je veux que tu apprennes quelque chose. Je veux que tu trouves un mari et que tu vois le monde. Par tous les dieux, tu ne voudrais tout de même pas gâcher ta vie comme moi, à vivre une vie monotone, des décennies au même endroit, à dormir dans le même lit, avec une personne ennuyeuse ! »
Freyja ferme les yeux un instant, grimaçant un peu mais hochant la tête.
« Tu as raison, Kild, je sais bien que tu as raison. Mais… J’ai peur. »
« Tu vas y arriver, j’en suis certain. »
Lentement, elle hoche la tête à nouveau, le visage pâle. Brusquement, une pensée semble traverser le visage de Kild.
« Agda m’a dit… Tu me cherchais ? »
Le visage de l’homme blond revient en tête à Freyja.
« Oui… Je me suis souvenue de… quelqu’un. »
Kild lève un sourcil, attendant une explication de plus. La jeune femme inspire profondément.
« Je me suis souvenue d’un visage. Un homme avec des yeux très bleus et des cheveux blonds. Des cicatrices, un air un peu dur et distancé… »
Lorsqu’elle voit Kild pâlir, Freyja se tait. L’homme se passe sa langue sur les lèvres, hésitant.
  « Kild, sais-tu qu’il est ? »
Le vieil homme ferme les yeux un instant puis hoche la tête, ses épaules tombant un peu plus.

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