la vérité

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Il me traine dans ce labyrinthe de couloirs. Une fois encore, c'est Léonard qui me ramène en cage. Je suis vidée de mes forces et je tiens à peine sur mes jambes. J'ai l'impression que je vais perdre connaissance à tout instant.

La douleur dans ma tête s'est atténuée mais je la sens lourde et inerte sur mes épaules. Léonard me porte presque. Je ne peux pratiquement pas marcher. Il a enfilé des gants semblables à ceux de leur chef avant de passer un de mes bras sur ses épaules. L'odeur de son angoisse me pique le nez.

Bien que je sache pertinemment qu'il m'est interdit de lui parler et qu'il a pour ordre de ne pas m'adresser la parole, une question me brûle les lèvres. Il faut que je sache. J'ai l'impression qu'il connait la raison des souffrances de tout les gens qui sont enfermés ici. Je suis presque sûre que lui-même en faisait parti jusqu'à peu de temps.

J'ouvre mes lèvres tremblantes de fatigue et demande péniblement:

- Qu'est-ce que j'ai fais...

Il fronce les sourcils, signe qu'il m'a écouté, et sa mâchoire se crispe. C'est comme si une force intérieur voulait l'empêcher de parler. Mais alors qu'il jète un rapide coup d'oeil autour de lui plusieurs sentiments m'envahissent : colère, culpabilité, tristesse. Puis ils s'estompent aussi rapidement qu'ils sont apparus.

Je me réveille légèrement de mon état léthargique, et fronce le nez. Aussitôt après cela, les remords de Léonard me brûle la gorge. Comme s'il était responsable de toutes ses émotions. J'ai l'impression qu'il comprend ce qui m'est arrivé dans ce cube de béton.

Lorsque nous arrivons à l'angle du couloir que j'ai emprunté trop de fois ces derniers temps, ils me pousse devant lui en voyant un garde. Il a peur qu'on le voit m'aider à marcher. Dans le rapide mouvement de l'air que provoque un geste vif, je crois entendre quelques mots qui ne me semblent nullement anodin.

- Je ne peux rien dire, murmure-t-il quand mon oreille passe devant lui.

Il me pousse jusqu'à la cage et retire ses gants avant de les donner au garde. Le garde me jète violemment derrière les barreaux avec les autres et referme rapidement la serrure. Lorsque mon front touche le sol humide, mes yeux s'ouvrent en grand contre mon gré et semble vouloir regarder à l'intérieur de moi-même. Mon esprit part ailleurs.

Tout me reviens. Je me souviens. Je me vois, à dix ans. Enfin... l'âge me parait si lointain après tout ce temps passé dans le néant que je pourrait très bien avoir deux années de plus ou de moins.

Mais je suis sûre que c'est moi. Cette personne qui sans le savoir a tuer son propre père. Qui, voulait seulement jouer à chat avec sa famille car elle voyait bien que sa mère se noyait dans la boisson. Elle voulait seulement oublier le malheur qu'elle ressentait autour d'elle, l'atmosphère oppressante de sa vie.

Tout ça, je le vois. Je le comprend. J'ai tué des membres de ma famille. Une larme coule le long de ma joue, pourtant j'entrevois une légère pointe de satisfaction dans mon souvenir. C'est celle de ma mère qui se contente de me protéger. Elle se sent libérée de toutes ses soirées infernales où on la rouait de coups. Malgré tout, elle ne me touche jamais pour me consoler.

Depuis ce jour elle ne fait plus le bisous que j'attends tous les soirs en vain dans mon lit, elle ne m'enlace plus avant de me laisser seule face à moi-même sur le chemin de l'école ni lorsque je rentre de ces journées de solitudes trop longue. Elle a trop peur du mal que je pourrais lui faire.

Et puis, viens le jour de mon anniversaire où je failli tuer son autre fille. Elle m'a livrée. Elle voulait mon bien, disait-elle. Mais je savais que c'était pour le bien de tous qu'elle abandonnait sa fille, la fille qu'elle chérissait plus que tout.

- Tu ne peux rien pour eux gamins, résonne au loin la voix du geôlier, laisse ces monstres et retournes à ta vie.

Tout s'efface. Je parviens à cligner des yeux et faire disparaitre ces images, mais elles restent gravée dans ma mémoire. Je me lève difficilement et remarque alors que Léonard s'éloigne lentement des barreaux, les mains tremblantes. Il a peur, il a vu ce que j'ai vu. J'en suis sûre. Il sait  pourquoi on m'a enfermé et maintenant il a peur, peur de moi.

C'est lui. C'est lui qui fait rejaillir tout les souvenirs que ma mémoire avait estompés.

Des pensées qui meurentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant