Face à la mort, l'homme peut réagir de deux façons. Dans la situation la plus rationnelle, il la craint, il la hait même pour ceux qu'elle lui vole. Dans la situation la plus perverse, il l'admire et se délecte de sa puissance et sa préférence au vice et à la misère. Nombreux sont ceux qui s'y sont frottés de trop près et ont réalisé qu'ils ne pouvaient pas rivaliser avec celle-ci. Pourtant ça ne les empêche pas de continuer à vouloir la surpasser.
Je sens le goût du sang qui imprègne la pièce. Plus il m'assomme de son récit, plus un arôme amère enflamme ma gorge. Mes paupières se ferment, ma tête me tourne. Chaque mot qui sort de sa bouche est un supplice pour tout mon corps. Tout se mélange : ruse, perfidie, tristesse, agressivité. Je n'existe plus, je ne suis plus. Je suis là, étrangère aux sensations qui me parcourent, face au corps de cette homme qu'on a torturé pour le simple plaisir de le voir souffrir. Comme si la réalité avait disparu au profit d'un vague mélange d'émotions toutes plus nauséabondes les unes que les autres. Y en a-t-il déjà eu une ?
Mes yeux s'ouvrent et se ferment, tentant en vain de reprendre contacte avec le présent. Le réel est à portée de main, pourtant ma tête se balance au rythme de ma respiration instable, esclave des soubresauts qui anime ma poitrine. Je suffoque. Comment lui faire comprendre que ce qu'il me demande est impossible ? Que je ne peux tout simplement pas prononcer un mot ?
Quelque chose de froid touche mon front et mon corps se soulève dans un sursaut. J'ai perdus connaissance. Je suis toujours enchainée au fauteuil de velours comme quelques instants auparavant mais lorsque mes yeux s'ouvrent je suis nez à nez avec Léonard qui s'emploie à poser quelque chose d'humide sur mon visage. Je veux le repousser avec ma tête mais elle est bloquée par une lanière de cuire.
Lorsqu'il croise mon regard, il ferme les yeux. Il a l'air tourmenté, presque navré de ce qui m'arrive. J'entends une respiration bruyante et irrégulière, certainement la mienne. Me yeux s'attardent sur lui puis parcourent la pièce. L'homme l'a laissé seul avec moi.
- Je suis désolé, je voulais te laisser dormir.
C'est la première fois que j'entends vraiment sa voix. Il s'est exprimé d'une voix claire et n'a pas eu l'air de craindre qu'on le surprenne. Il a un linge mouillé et le plonge dans une bassine pour le débarrasser de toute sa crasse avant de l'essorer. L'eau est trouble et a une légère teinte pourpre qui me donne un haut les cœurs, ma poitrine se soulève muée par quelque chose que je ne contrôle pas. Je veux me pencher mais ma tête est fermement retenue au siège. Il faut que je me libère ...
J'entends ma respiration se faire plus forte comme si elle tentait de contrer ce que la vision de cette bassine provoque en moi. Leonard lève les yeux et la panique qu'il exhale accentue encore plus ma nausée. Il se précipite pour défaire la sangle de cuire juste à temps. À peine ses doigts finissent d'ôter l'attache que je me penche par dessus l'accoudoir et mon corps évacue le peu de choses qu'il a pu ingérer ces dernières heures.
J'entends un soupir venant de derrière moi et m'attend à voir quelqu'un d'autre arriver mais c'est Léonard qui arrive avec de quoi nettoyer le sol. Il n'est pas lassé de s'occuper de tâches ingrates, ce n'était pas un soupir de dégoût mêlé à une profonde fatigue. Non, il reste fidèle à son état de tristesse.
Mes yeux le suivent et le regarde faire avec la honte de n'avoir pas réussis à me retenir. J'essaie de ne plus penser à l'histoire que l'homme m'a raconté mais j'en ressens encore toutes les saveurs qui laissent ce goût amer dans ma gorge nouée. J'entends la porte claquer et remarque que Léonard ne se trouve plus dans la pièce. Il n'y a plus personne pour me rappeler ce qui vient de se passer et pourtant je n'arrive pas à me défaire de la saveurs de cette envie de sang.
Fermer les yeux, ne penser à rien, penser que tout n'est qu'un immense flot d'abomination dans un long fleuve tranquille. Fermer les yeux, ne penser à rien...
- Tina ...
Mes yeux s'ouvrent et je découvres une forme sombre qui prend quelque chose sur le bureau. Je reconnaît la commisération propre au jeune garçon sans réussir à l'identifier physiquement. Ce n'est que lorsqu'il essuie le liquide tiède qui baignait mon visage que je me rend compte que des larmes débordent de mes yeux. J'essaie d'empêcher tant bien que mal mon corps de se secouer sous la force des sanglots mais la panique qui quelques secondes plus tôt m'était étrangère a pénétré jusque dans le moindre de mes muscles et fait tinter les chaînes qui me retiennent au fauteuil.
Léonard me jète un regard soucieux avant de s'accroupir pour se mettre à ma hauteur. Ma respiration se fait de plus en plus dure et la chaleur me monte au cerveaux. De sa main gantée, il m'essuie le front.
- Il faut que tu te calmes, dit-il doucement. Si tu continue ça, tu n'arrivera jamais à supporter ce qu'il te font vivre.
Je lui lance un regard haineux tout en essayant de retrouver mon calme.
- Si tu considères que j'en suis capable après ce que tu m'as fais, tu peux continuer de faire semblant d'avoir un semblant d'humanité et lécher les bottes de tes supérieurs.
Ma voix rauque résonne à mes oreilles. Il ferme les yeux et je le sens retenir les mots qui souhaitaient me répondre, mais il se tait. Lorsqu'il rouvre les yeux, il sont brillant comme si mes paroles l'avait réellement touché. Il va chercher une chaise et s'assoit en face de moi et m'observe.
J'entends ma respiration se calmer alors que mon esprit divague toujours dans ma tête et malgré ce goût amère dans ma bouche, mon corps se stabilise et mes yeux voient à nouveau. Étrange.
L'aura particulière de Léonard a disparue. Il ne flotte dans la pièce que ma propre peur. C'est mon dégoût que je sens et il me brûle les narines. En revanche, toutes les émotions qu'il dégageait se sont évaporées, il a seulement l'air très concentré. Il enlève un de ses gants et se lève de sa chaise.
- J'ai besoin que tu arrêtes de repenser à ce qu'il t'a fait voir, dit-il en s'approchant, tu as l'air fiévreuse et je ne peux pas le vérifier si tu restes dans cet état.
Sur ces mots, mon esprit oublie l'espace d'un instant ce qui le travaillait. Léonard pose rapidement sa main sur mon front et il retient une petite grimace mais rien ne se passe.
Durant l'espace de ces quelques secondes, je vois pour la première fois les traits de son visage qui était ensevelit sous sa peur. Il a l'air de ne pas avoir dormis depuis plusieurs jour. Son teint et cireux et de grosses cernes assombrissent son regard. Ses yeux d'un marron presque noir trahissent les soucis d'une vie que j'ai déjà vu chez mes codétenus. Une longue cicatrice marque la courbe de sa mâchoire carré. Elle témoigne certainement de son passé en enfer. Du moins c'est ce que je pense... alors que je médites sur ce dernier détails, mon regard est attiré par les marques mauves et jaunes qui lui taches le cou. Sa gorge est marqué d'hématomes. Pas si ancienne que ça sa cicatrice... de nombreuses blessures jalonnent sa peau mais les hématomes témoignent de blessures récentes. Je ne peux m'empêcher d'éprouver de la pitié pour Léonard qui a faillit terminer comme l'homme de ma vision...
Il sursaute et s'éloigne en se frottant la main.
- Je t'avais dit de ne penser à rien, s'exclame-t-il avec un faux sourire sur le visage qui me prouve qu'il a du mal à ne pas me craindre.
- Qu'est-ce que tu fais ?
- Je vérifie ta tempéra...
- Non, pourquoi tu t'obstines a faire comme si tu te souciais de mon sort ?À peine mes mots ont franchis mes lèvres que je sens la tristesse qui embaume la pièce à nouveau. Une tristesse plus mélancolique que celle dont il a pu faire preuve. J'en suis presque sûre, ce sentiment ne me concerne pas. En revanche la colère qu'il laisse transparaître m'est tout aussi bien destinée qu'à lui-même.
- Je risques bien plus que tu ne le penses alors évites de regarder les choses sans les voir.
Il prends la bassine et d'un geste rageur, me jette le chiffon humide dessus avant de sortir du bureau, me laissant ainsi avec l'odeur nauséabonde du sang qui a coloré le textile.
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Des pensées qui meurent
Random"Fermer les yeux, partir au delà des limite du réel. Quelque chose qu'on ne pourra jamais m'enlever. Quelque chose qui restera toujours au plus profond de moi, sans pouvoir se réveiller totalement." Je ne suis pas folle, non. Les fous ne réfléchisse...