"Se vocês sâo uma grande árvore, nós somos o pequeno machado afiado para cortá-la." Bob Marley
Nous arrivons dans une petite commune nommée « Chamvres ». Ben voyons. Toujours est-il que c'est ici que nous passerons la nuit. Je me gare sur un terrain marqué « A vendre », en espérant ne pas me faire déloger avant demain matin, et entreprends de m'installer un peu. Dans le coffre, et depuis de nombreuses années, se trouve un matelas deux places, car nous prenions toujours le break pour prendre la route, en raison de son énorme coffre, capable de contenir, justement, un matelas non plié. Il y a déjà un drap sur mon lit de fortune ; en effet, j'ai oublié mes clés avant de sortir deux jours auparavant, et ai été contraint de dormir dans le véhicule. Je sors les couvertures rangées sous la banquette arrière et les installe plus ou moins correctement sur le matelas. Je m'extirpe de la voiture et cours rejoindre Kliff qui se roule dans l'herbe.
— On n'est pas bien, là, mon p'tit pote ? Avoue que c'est la vie rêvée pour des êtres comme toi et moi. Personne pour te faire chier, te donner des ordres. Personne pour te parler alors que tu ne demandes que le silence. On y est, mon vieux. La vie est ici. Pas ici, dans ce village ; ici, dans la mélodie du vent, dans la sève des arbres, dans chaque petit brin d'herbe. C'est ça, la vie.
Il m'arrive de parler à mon chien, comme à un ami, de me confier des heures durant. Parfois, au contraire, nous restons ce qui nous semble une éternité dans un silence quasi-absolu, car nous savons, en nous regardant dans les yeux, que la parole n'est que le dernier des langages.
Kliff se jette sur moi et se met à japper, ce qui signifie qu'il a faim. Il en est de même pour moi, d'ailleurs, je n'ai pas mangé depuis hier midi, et mon estomac commence sérieusement à me le faire ressentir. Nous retournons au pas de course jusqu'à la voiture, et j'ouvre le sac dans lequel j'ai rangé les provisions faites tout à l'heure.
❁ ❁ ❁
Après un festin pour le moins rudimentaire, je décide de rouler un joint avant de prendre ma guitare. A peine le pochon ouvert, les effluves de cannabis envahissent le coffre du break, me laissant fermer les yeux pour mieux les humer. Kliff lève une oreille, et, voyant que l'odeur émane de moi, repose la tête entre ses pattes. Je commence à effriter la tête séchée, et à déposer soigneusement les fragments sur la feuille de chanvre, où se trouvait déjà du tabac, puis j'enroule un petit morceau de carton que je viens placer à l'extrémité de mon assemblage. Après avoir roulé la feuille sur elle-même et l'avoir effleurée du bout de la langue, je porte le cône de papier à mes lèvres, et l'allume à l'aide de mon briquet, tout en tirant une grande bouffée de substance. La fumée envahit ma bouche, puis vient se glisser jusqu'à mes poumons, me laissant visualiser son voyage dans mon organisme. Je me sens détendu, serein. Libre. Ce qui, à peine quelques heures auparavant, était pour moi une mélancolique échappatoire devient à présent une réelle source de bien-être. Je n'élude plus ma vie en fumant, je la ressens.
J'attrape ma guitare et coince mon joint sous les cordes au niveau de la tête. Mes doigts dansent sur le nylon, valsant de case en case pour créer une mélodie nouvelle, unique, qui incarnerait l'Amour. Pas nécessairement l'amour ressenti lorsque deux personnes se désirent et s'affectionnent ; l'Amour infini, immatériel, présent en chaque être vivant, animal ou végétal, et partagé sous forme d'énergie capable de toute chose.
A mesure que mes mains se meuvent sur le manche, mes sens s'éveillent et m'emportent dans une dimension synésthésique, où vibrations, parfums et couleurs se mêlent en parfaite harmonie.
J'ouvre les yeux, qui, à mon insu, s'étaient clos quelques minutes auparavant, et pose mon instrument près de moi. Je reste ainsi, durant un temps indéterminable, à observer la nature s'endormir, tout en finissant mon pétard. Kliff aussi semble s'être laissé emporter dans les méandres du sommeil.
ॐ
Bonjour à tous ! Voilà le chapitre 3, donc. Que pensez-vous de l'action ? Est-elle trop lente, inexistante ? Trop descriptive, juste correcte ? Donnez-moi vos avis et impressions !
Traduction de la citation : « Si vous êtes un grand arbre, nous sommes la petite hache aiguisée pour le couper. »
Photographie de l'en-tête par Walker Evans (1936)
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Les choses muettes
SpiritualParfois, on est envahit par la sensation qu'un "ailleurs" nous attend, quelque part au beau milieu d'une forêt, ou bien dans les lumières d'une métropole. C'est ce que Pierre, un jeune homme de 20 ans, a ressenti ce matin-là. Alors, après avoir sort...