La voiture roule, toujours plus vite, plus loin, vers un horizon incertain; la musique se brise en moi; le chien implore la lune. Qu'est-ce que je suis con! Elle m'a filé entre les doigts, et c'est de ma faute. J'ai pensé que j'allais finir par me lasser d'elle, comme de tous les autres, que l'image qu'elle me renvoyait allait se ternir au fil du temps. J'ai préféré garder le souvenir magique de cette rencontre éphémère. Et putain qu'est-ce que je le regrette! Il est trop tard pour faire demi-tour, de toute manière, elle est déjà partie de son côté. Nous n'avons échangé aucun numéro de téléphone, aucune adresse, absolument rien qui puisse nous permettre de nous retrouver un jour. Il ne me reste qu'à rouler jusqu'à l'infini, en espérant la prendre au vol parmi les étoiles.
Je ne veux plus de cette solitude tant désirée, je la veux, elle. Sa présence, ses mots, son odeur. Je veux que ses rictus arrogants me glacent le sang, que son regard perce le mien, devinant les secrets d'un passé désincarné. Je veux rire avec elle, fumer, boire à nous en crever la panse.
Non, en réalité j'aimerais l'oublier. Ou plutôt oublier que je ne l'ai pas retenue, que je l'ai laissée s'envoler en silence, comme elle m'était apparue la veille. J'avais peur. Peur qu'elle se révèle semblable aux autres, humaine. Je crois bien que je l'aime, d'un amour platonique. Non, pas d'amour. Je l'aime de poésie.
Assez parlé, je suis parti de ce trou pour me libérer, et non pour qu'une inconnue me mette des chaînes aux chevilles. La vie continue, je ne vais pas la laisser filer, celle-ci, pas une autre fois.
Je stoppe le break sur le bas-côté et en descend rapidement. Kliff me suit dans la foulée et nous nous enfonçons dans une forêt obscure. Nous avons tous les deux besoin d'une ballade entre les arbres, lui pour se dégourdir les pattes, et moi pour m'aérer l'âme. Au fil de mes pas, des mots se bousculent dans mon esprit, formant des vers que je tente vainement d'éluder. Lorsque les strophes deviennent trop pesantes, je m'adosse à un vieux chêne et sors mon carnet. Il n'est qu'un moyen de m'affranchir de ces maux; les écrire. Les lettres se transcrivent presque d'elles-même sur le papier froissé, abandonnant toute rationalité. Une fois ma main détachée de la feuille, je prends le temps d'observer le poème dansant sous mes yeux:
"Songe
Un soir que j'errais dans le pays de mes rêves,
Il m'est apparu une telle créature
Qu'en est encore incertaine mon écriture.
Mais cette apparition fût, hélas, bien trop brève.
La nymphe dansait au milieu des roseaux,
Nue, un millier de fleurs habillant sa chevelure.
Elle avait la grâce d'une louve, et l'allure
D'une panthère guettant sa proie près de l'eau.
Ses pieds effleuraient à peine l'herbe émeraude.
Elle volait, et je ne pouvais la toucher,
Car il eut fallu pour cela que je finaude.
Soudain, mon corps entier fût secoué de spasmes.
Mais alors que je m'approchai pour l'attraper,
La fée se volatilisa, tel un fantasme."
ॐ
Bonsoir à vous, lecteurs! Tout d'abord, merci de me lire et de me donner vos avis, ça me fait vraiment chaud au cœur!
Voici donc le Chapitre 9. Que pensez-vous de la décision de Pierre? De ses remords? A votre avis, vont-ils se retrouver, s'oublier? Que va-t-il se passer? Ça fait pas mal de question, je vous l'accorde, mais j'aime beaucoup savoir ce que vous pensez de l'histoire.
Ensuite, je pense faire des chapitres un peu plus courts, afin de poster plus régulièrement (deux à trois fois pas semaine), dites-moi si ça vous convient, ou si c'est trop.
Photographie de l'en-tête par Philippe Halsman (Making of Dali Atomicus), 1948.
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Les choses muettes
EspiritualParfois, on est envahit par la sensation qu'un "ailleurs" nous attend, quelque part au beau milieu d'une forêt, ou bien dans les lumières d'une métropole. C'est ce que Pierre, un jeune homme de 20 ans, a ressenti ce matin-là. Alors, après avoir sort...