« J'ai aucun parti pris ni d'idéaux, simplement je fais partie du parti des oiseaux » Dooz Kawa
« Maman,
Tu ne me trouveras pas ici ce soir, ni les soirs qui suivront, d'ailleurs. J'ai décidé de partir quelque temps, d'aller découvrir le monde et me retrouver moi-même. Je n'en pouvais plus d'avoir l'impression de vivre sans cesse la même journée, j'étouffais. Ne t'en fais pas pour moi, je saurai me débrouiller, tu me connais. J'emmène Kliff avec moi, je pense qu'il a lui aussi besoin de prendre l'air. Je ne sais pas quand je reviendrai, une semaine, trois mois, six ? On verra bien. Prenez soin de vous. Je vous aime.
Pierre. »
Je relis au moins trois fois la lettre, comme pour m'assurer que ce que je m'apprête à faire est bien réel. Depuis plus de trois ans, je rêve de cet instant, celui où je ferai vrombir le moteur de mon vieux break, en quête d'un présent. Depuis plus de trois ans, je repousse cet instant, vivant ainsi au cœur d'une chimère impalpable. Je pense à Seb. Il m'en voudra. Nous avions prévu de partir ensemble, d'acheter un camion puis de s'enfuir en Andalousie, et acheter un terrain. Tant pis. Je vis pour moi, désormais. De toute manière, je suis un être bien trop solitaire pour cohabiter avec quelqu'un à longueur de journée, si proche soit-il, et les choses auraient vite dérapé.
Je prends mon sac, ma guitare, les clés de la voiture, j'appelle Kliff et sors de la maison. Ce dernier monte sur la banquette arrière aussitôt que j'ouvre la portière, et lâche léger un aboiement, comme pour me témoigner son engouement.
— Eh ouais, mon gros, c'est l'aventure, maintenant ! Paré ?
Le berger allemand réitère son aboiement et je démarre. Je ne prends pas la peine de jeter un dernier regard à la maison derrière moi, à quoi bon ? C'est de l'avant que je vais, dorénavant.
❁ ❁ ❁
— How does it feel, how does it feel? To be without a home, Like a complete unknown, like a rolling stone !
Les paroles de Bob Dylan résonnent dans mes oreilles à mesure que je les clame, tel un mantra. Elles m'enveloppent pour illustrer mes pensées, deviennent la mélodie de mes sentiments. A l'arrière, Kliff s'est endormi, du moins il est couché sur la banquette et ferme les yeux. Je doute qu'il puisse s'assoupir avec le boucan que je fais. Seulement, je vis, pour la première fois depuis des mois. Je goûte enfin à cette liberté, tant désirée qu'elle n'était plus qu'un fantasme.
Cela fait presque trois heures que je roule, les idées au vent ; il serait peut-être temps de faire une pause, histoire que Kliff et moi nous dégourdissions les jambes. Je m'arrête à l'orée d'un bois, sur une petite route de campagne, Kliff bondit hors de la voiture avec une rapidité inouïe, et s'élance entre les arbres. Je jette un coup d'œil au tableau de bord, il indique 16h49. Ma soeur ne va pas tarder à rentrer de cours, elle verra la lettre posée à côté de la machine à café, et appellera aussitôt ma mère. Ce soir, Seb tentera de me joindre pour qu'on joue un peu de guitare, qu'on improvise quelques mesures, il ira chez moi, car je n'aurai pas répondu à ses multiples appels, et découvrira ma mère inquiète, étonnée que je sois parti sans mon ami. Qu'importe. Ils ne sont plus les marionnettistes de mon existence, désormais, je suis l'unique maître de mon temps. Je roule une cigarette et m'adosse au capot du véhicule. Les volutes de fumée m'ont toujours apaisé, les multiples images formées, tel le feu dans l'âtre, porteur d'histoire. C'est probablement pour ça que j'ai commencé à fumer, pour le simple plaisir d'observer les arabesques dessinées sous mes yeux.
Mon ventre émet une sorte de grondement, qui me rappelle que ce n'est pas la fumée de ma cigarette qui remplira mon estomac. Je siffle Kliff et décide de trouver un magasin afin de faire le plein de denrées, assez pour tenir les prochains jours, du moins. Pour la suite, nous verrons plus tard.
ॐ
Oyé, Oyé ! Voici donc le deuxième chapitre de Wild, en espérant qu'il vous ait plu. Qu'en avez-vous pensé ? J'attends avec impatience vos avis, et je vous dis à la semaine prochaine pour le prochain chapitre ! (Je pense les publier chaque week-end, le samedi ou le dimanche, en fonction de mes possibilités. Disons qu'aujourd'hui était une petite exception parce que pour l'instant j'ai le temps d'écrire, et que j'étais vraiment pressée de vous poster ce deuxième chapitre! )
Photographie de l'en-tête par Irving Penn (The Fallen Pitcher, 1980)
Vidéo de l'en-tête : Like A Rolling Stone, Bob Dylan
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Les choses muettes
SpiritualParfois, on est envahit par la sensation qu'un "ailleurs" nous attend, quelque part au beau milieu d'une forêt, ou bien dans les lumières d'une métropole. C'est ce que Pierre, un jeune homme de 20 ans, a ressenti ce matin-là. Alors, après avoir sort...