1. Passe-Murailles : mode d'emploi (Partie 1)

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Il est impossible de tuer un Passe-Murailles. Même en les amochant plus que de raison, ces gens-là sont presque immortels. En tout cas, c'était ce que se disait le Capitaine de la garde en passant une main sur son front, exaspéré.

- Answald Melton ? Encore toi ? Mais tu es increvable, soupira-t-il.

En face de lui, le jeune homme haussa les épaules. Mauvaise idée. Cela éveilla une douleur lancinante dans tout son torse, lui rappelant ses muscles froissés et ses plaies encore ouvertes. Sans parler du bout de ses cheveux, qui avaient roussis. De blondes, certaines mèches étaient passées à grises - voir à noires de suie.

Accompagnées de l'odeur de brûlé qui allait avec, bien évidemment.

Malgré tout cela, il se tenait là... vivant, quoiqu'un peu égratigné. Enfin, "égratigné", le mot était faible. Mais il ne s'en sortait pas si mal que ça... Non ?

Non. Allez, il fallait l'avouer : il avait sacrément ramassé, sur ce coup-là.

Alors, le fait qu'ils se fusillent du regard - lui et une vieille connaissance - était la moindre de ses préoccupations.

- Bon... Qu'est-ce que tu as fait, cette fois ? lâcha le soldat de l'autre côté du bureau.

- Trois fois rien, se tortilla Answald en grimaçant. Vraiment !

Son interlocuteur soupira. Ce gamin le rendait fou, habitué qu'il était des cellules de la garde. C'était la deuxième fois, rien que cette semaine, qu'il se retrouvait en tête à tête avec lui. Pas que le Capitaine apprécie particulièrement le voleur, mais c'était le seul membre du réseau secret agissant en ville que les forces de l'ordre aient jamais réussi à prendre vivant. À croire qu'il se laissait faire, le bougre.

- Écoute, mon gars, je n'en peux plus de ta face de voyou. Dégage d'ici.

Le "voyou" contusionné leva ses poignets enchaînés, un sourire contrit sur les lèvres.

- Je veux bien, mais...

- Oui, tu seras gentil de laisser les menottes.

Devant l'absence de mouvement du Capitaine, Answald lui agita lesdites menottes sous le nez. Rien. Bon, là, c'était clairement une preuve flagrante de mauvaise volonté.

Grommelant, le prisonnier repoussa sa chaise et la replaça près du bureau couvert de paperasse. Autant s'exécuter sans rechigner, car, de toute façon, il n'était pas en position de discuter. Plus qu'un dernier petit effort pour satisfaire le Capitaine, et il serait libre.

En l'espace d'un instant, le voleur adressa un clin d'oeil à son public, leva les bras, puis écarta tranquillement les poignets. Le prodige des Passe-Murailles s'accomplit une fois de plus sous les yeux blasés de l'officier : le métal traversa muscles et os sans problème, défiant l'entendement.

Une fois l'opération terminée, les menottes rejoignirent les papiers sur le bureau dans un cliquetis métallique.

- Franchement, Capitaine, si vous avez des restrictions budgétaires... Fallait le dire, je vous aurais amené ma collection privée. La prochaine fois ? le salua le jeune homme, libéré de toute entrave.

La seconde d'après, la porte claquante se refermait sur l'air satisfait du voleur.

Il traversa couloirs et cellules en sifflotant, gratifiant d'un signe de tête les soldats qu'il croisait. Il commençait à les connaître, à force. Ils lui répondirent tous par des regards froids, ne semblant pas vouloir lui rendre la sympathie qu'il s'efforçait de développer pour eux.

Décidément, la politesse, ça se perdait.

Il sortit finalement du bâtiment où une faible justice était parfois rendue, et respira un moment l'air pur du soir tombant. Ça lui avait manqué, depuis la dernière petite demi-heure.

Nouvelles des Demies-TerresWhere stories live. Discover now