Chapitre 1.

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21 septembre 2008, 19h47

Le jeune homme était assit une table d'un restaurant de Londres, assez chic, ses coudes négligemment posés dessus, devant son assiette de steak-frites qu'il s'était obstiné à commander malgré les protestations de sa compagne. Elle râlait toujours d'ailleurs, devant son assiette de salade, mais il n'y prêtait pas attention. Il n'avait d'yeux que pour la jeune fille d'environ dix-neuf ans qui servait maladroitement des plats, à l'autre bout de la salle. Il sourit et secoua la tête en la voyant manquer de renverser une assiette, et s'intéressa de nouveau à la grande femme brune qui agitait sa main devant lui.

- Hé oh ! Tu m'écoutes ? Demanda-t-elle.
- Bien sûr !
- Qu'est-ce-que je disais alors ?
- Je ne sais pas. Avoua-t-il en lançant un regard à la dérobée vers le fond de la salle pour constater que la jeune fille n'était plus là.
- J'aimerais un vin. Dit-elle songeuse.
- Fait comme tu veux. Soupira-t-il.

Il reporta son attention sur son assiette, renfrogné, grognon, ne prenant même pas la peine de relever la tête lorsque la serveuse vint prendre leur commande. Il sentit le regard noir de sa fiancé sur sa nuque, mais ne se redressa pas pour autant.

- Tu es désagréable. Cracha-t-elle lorsque la jeune femme se fut éclipsée.

Il lui envoya un baiser moqueur du bout des lèvres en guise de réponse, avant d'être de nouveau rejoint par la serveuse. Il écarquilla les yeux en la dévisageant. C'était la jeune fille de tout à l'heure. De loin, elle paraissait si fragile, si timide, et la voir de près accentuait cette impression. Elle avait gardé le corps de l'adolescence, avec sa petite taille, ses joues creuses, son apparence chétive. Ses cheveux bruns étaient teints en blonds, d'ailleurs on voyait les racines reprendre leur couleur naturelle. C'était une gamine. Pourtant quelque chose chez elle attirait l'attention, et la faisait sortir du lot. Ses yeux. Deux grands yeux gris. Doux et glacés à la fois, de fer comme le caractère qu'ils prétendaient affirmer. Et c'était ce mélange, oui ce mélange sauvage, cette effrayante qui la rendait si effrayante qui la rendait si intrigante. Une beauté irréelle qui passait inaperçue au milieu de tous ces gens à gros porte-monnaie, et de pseudo plats gastronomiques. Une chimère, un espoir dans un enfer. Il fut brusquement ramené à la réalité lorsqu'elle ouvrit la bouche. Le son cassé qui en sortait allait de pair avec la fragilité de son corps.

- Bonne soirée. Dit-elle avant de tourner les talons.

Il eut juste le temps de voir un sourire. Un sourire à peine esquissé, du bout des lèvres. Un sourire timide et sincère.

- Laura on s'en va !
- Quoi ?! Mais on a même pas bu le...
- Eh bien dépêches-toi et on y va ! Je commence à être fatigué...

3 mai 2010, 9h05

Ils en étaient là, deux ans plus tard, debout l'un en face de l'autre, séparés par les trois mètres de la chaussée à sens unique. Lui sortant d'un café, elle appuyée contre un mur. Lui dans son tee-shirt ACDC, son jean déchiré et sa barbe de trois jours, elle dans sa chemise blanche impeccable, son blazer, et ses escarpins vernis.

Il la détailla longuement, le regard fixé sur elle, voyant à peine les promeneurs qui altéraient sa vue en passant entre eux. Ce n'était plus la gamine d'avant. Il l'avait laissée maigre, les cheveux lui arrivant à peine aux épaules, la teinture ratée, et maintenant, elle était femme, aux courbes alléchantes, les cheveux de nouveau bruns, tombants en cascade le long de son dos, tandis qu'une frange droite lui barrait le front. Il déglutit lorsqu'elle darda sur lui son regard de fer, froid et pénétrant, réprimant le frisson qui irradiait sa moelle épinière. Il glissa ses pouces dans les poches avant de son jean tandis qu'ils se dévisageait. Un couple de personnes âgées, puis un fourgon passa entre eux.

Vingt secondes.

Vingt secondes de perte de contact visuel qui ont suffit à rompre la bulle qui s'était crée autour d'eux. Un homme vint la rejoindre, un gobelet de café dans une main et vint placer son autre bras autour de sa taille, et l'attira contre lui pour déposer un baiser sur sa tempe. Il lui murmura quelque chose à l'oreille, et l'entraîna hors de sa vue, le laissant là, planté bêtement devant un café, avec juste un sourire qui avait étiré ses lèvres rouge vif, un sourire qu'il n'avait pût apprécier qu'en l'espace de cinq misérables petites secondes.

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