Chapitre 6

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Chapitre VI

"The body sins once, and has done with its sin, for action is a mode of purification. Nothing remains then but the recollection of a pleasure, or the luxury of a regret. The only way to get rid of a temptation is to yield to it." (The Picture of Dorian Gray, Ch. II)

Lord Henry observa dans le miroir la ride qui marquait son front comme une offense, et grimaça. Sa peau était encore lisse à cet endroit deux jours plus tôt, il en était certain. Ces derniers temps, il repérait de plus en plus de signes d'un vieillissement qui l'avait jusque là épargné. En plus de nouvelles rides, il avait découvert une profusion de cheveux blancs jamais remarquée auparavant. Il avait trente et un ans, certes, mais il avait espéré encore trois ou quatre années de répit avant d'avoir à se soucier de ces détails. L'un dans l'autre, songea-t-il, il avait mauvaise mine. Sans doute à cause de son malaise de la veille, en fin de matinée. Il avait perdu connaissance brièvement, sans pouvoir s'en expliquer la raison. Jamais pareille chose ne lui était encore advenue.

La voix de son valet de chambre le tira de ses pensées.

- Monsieur souhaite-t-il aujourd'hui pour sa cravate l'épingle à tête de jais incrusté de nacre, ou préfèrerait-il celle à tête de cornaline rehaussée d'or ?

En un éclair, Henry revit une autre épingle- il l'arrachait lui-même des doigts crispés de Dorian et l'appuyait à la naissance du cou du jeune homme, appuyait jusqu'à faire perler le sang- il revoyait le filet écarlate s'écouler lentement, si lentement sur la peau blanche et délicate...

Un frisson le saisit, dont il ne put déterminer s'il était d'excitation ou de dégoût- des deux, sans doute. Le Lord serra et desserra les doigts tour à tour en s'efforçant de respirer calmement. Il sentait la sueur perler à son front.

- Monsieur ?

Le ton interrogateur du valet lui fit réaliser qu'il n'avait pas répondu à sa question.

- ...cornaline, répondit-il au hasard. Cornaline, c'est cela. Et un mouchoir propre, ajouta-t-il en sortant le sien de sa poche pour s'essuyer le front.

- Bien, Monsieur.

Quant le domestique lui présenta l'épingle qu'il avait choisie, il hésita. Nacre et jais ne seraient-ils pas plus appropriés avec cette teinte de soie ? Indubitablement. Henry repoussa le bijou d'un geste agacé.

- Pas la cornaline, voyons, le jais ! S'écria-t-il comme le valet avait pris seul la responsabilité de ce choix malavisé.

- Je...Bien, Monsieur.

Tandis que son serviteur cherchait la seconde épingle, Henry se força à plus de maîtrise. Son accès d'émoi lui parut grotesque. Il aurait dû être capable de considérer ce qui s'était passé entre Dorian et lui avec la distance qu'il mettait en toute chose. C'était fait, c'était froid de deux jours déjà ; un souvenir ; Il devait réussir à y penser sans que son corps réagisse d'une façon ou d'une autre - la plus embarrassante de ces réactions n'étant certes pas celle qu'il venait d'avoir. Il décida de s'exercer à l'impassibilité en se focalisant de nouveau sur l'incident avec l'épingle à cravate. Qu'en avait-il donc fait, de cette épingle ? Il ne savait plus...à coup sûr, elle avait dû rester sur le sol de la chambre, à la tabagie...pas perdue bien longtemps, évidement. Le bijou avait de grandes chances de se trouver maintenant chez un quelconque prêteur-sur-gage des bas-quartiers, voire épinglé au chapeau d'une catin...Henry jugea l'idée divertissante un instant, mais un instant seulement.

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