Chapitre 2

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Chapitre II

"But still I don't think I would go to Harry if I were in trouble. I would sooner go to you, Basil." (The Picture of Dorian Gray, Ch. IX)

Lorsque son majordome entra dans la chambre en portant un plateau chargé de thé et de porridge léger, Dorian se redressa sur ses oreillers. Le domestique le salua et posa le plateau sur une tablette qu'il plaça près de son maître. Dorian se souvint de la reconnaissance qu'il avait éprouvée pour lui la veille, et il eut soudain besoin de l'exprimer.

- Merci pour ce que vous avez fait hier, Victor, dit-il en français. J'ai apprécié votre délicatesse. Je vous prie de m'excuser pour m'être emporté contre vous comme je l'ai fait.

L'homme leva la tête, surpris, et leurs yeux se rencontrèrent un bref instant.

- Monsieur n'a pas à s'excuser de quoi que ce soit, murmura-t-il. Je suis heureux d'avoir été utile à Monsieur.

Le serviteur quitta la pièce. Dorian tenta d'avaler un peu de porridge, mais il renonça vite et repoussa l'assiette avec dégoût. Il se leva, fit ses ablutions et rappela Victor pour qu'il l'aide à se vêtir. Il s'habilla simplement, contrairement à son habitude. Une fois prêt, il s'installa à sa table de travail et écrivit un mot bref, qu'il cacheta d'une main tremblante. Puis il appela son domestique.

- Victor, je voudrais que vous portiez ce billet à Mr Basil Hallward. Si la lecture de ce mot ne suffit pas à l'y décider, faites tout ce que vous pourrez pour le convaincre de venir. Dites-lui que c'est très important. Je ne recevrai pas d'autre visite aujourd'hui.

- Bien, Monsieur.

- Une fois cela fait, vous pourrez prendre votre matinée.

- Monsieur est-il certain qu'il n'aura pas besoin d'autre chose ?

Dorian fixa sur lui son regard bleu, à la fois impérieux et curieusement suppliant.

- Ramenez Basil Hallward, Victor. C'est vraiment tout ce dont j'ai besoin.

Le majordome s'inclina et sortit.

Après son départ, Dorian se rendit dans la bibliothèque. Il essaya de lire, mais il ne pouvait fixer son attention. Pourquoi avait-il pensé à Basil ? Toute la nuit, il s'était tourmenté sans trouver aucun espoir auquel se raccrocher. Mais aux premières lueurs de l'aube, il s'était souvenu. Il avait l'impression qu'il s'agissait d'une vie antérieure. Il était innocent, alors, en dépit de la tragédie familiale. Il était vierge autant qu'on pouvait l'être, perméable à toute impression et pas même conscient de sa beauté. Basil l'avait rencontré, l'avait élu, avait voulu le peindre ; et lui s'était attaché à l'artiste avec toute l'affectueuse gratitude d'un enfant solitaire à qui l'on manifeste enfin de l'intérêt. Un enfant, oui, malgré ses dix-neuf ans, une créature aux joies simples qui ne savait rien des séduisantes corruptions du monde. Il avait atteint ses vingt ans sans que rien n'ait changé. Basil et son atelier au jardin féérique restaient son seul horizon. Basil avait tout fait pour le préserver ; en partie par intérêt, sans doute, mais il l'avait fait. Les deux mois qu'il avait passés auprès de l'artiste avant ce funeste jour de juin avaient été heureux. Les plus heureux de sa première vie, avant qu'il ne rencontre Lord Wotton. Avant que le portrait...

Basil pourtant l'avait averti. « Ne prête aucune attention à ce que dit Lord Henry. Il a une très mauvaise influence sur tous ses amis, à l'exception de moi-même. »

Mais il n'en avait nullement tenu compte. Cet extraordinaire objet nouveau avait accaparé son attention dès la première minute. Les paroles subtiles, les délicieux sarcasmes, les riants blasphèmes de cette belle voix musicale s'étaient infiltrés dans son esprit comme le poison de Claudius dans l'oreille du roi de Danemark. Il s'était laissé entraîner par Lord Wotton avec la fascination passive d'un oiseau hypnotisé par un serpent. Comme il avait été faible !

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