Chapitre 9

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Chapitre IX :

"Beautiful sins, like beautiful things, are the privilege of the rich. (...) no civilized man ever regrets a pleasure" (The Picture of Dorian Gray, Ch. VI)

« It is only the sacred things that are worth touching (...). » (The Picture of Dorian Gray, Ch. IV)

Dorian acheva de nouer sa cravate. Sa main droite n'était plus entravée par aucun pansement : la nuit avait suffi à faire disparaître toute trace de l'entaille qu'il s'était faite la veille. Le jeune homme s'observa un instant dans le miroir, bien qu'il en sût le danger. Il aurait dû bannir de sa demeure toute surface réfléchissante, ou leur faire subir le même sort qu'à la glace baroque offerte par Wotton, qui s'était fracassée en mille éclats sur le mur. Luttant contre le charme insidieux de sa propre apparence, il se força à se détourner. Un goût amer lui emplissait la bouche. Il quitta la chambre, Victor sur ses talons. Le majordome lui avait autorisé quelques bouffées d'opium à plusieurs intervalles dans la journée, pour prévenir toute réaction nerveuse due au manque. Il s'était procuré la drogue à une adresse indiquée par Dorian et en avait soigneusement contrôlé la prise. Cette surveillance avait considérablement gêné Dorian et diminué d'autant la satisfaction qu'il retirait à l'ordinaire de sa consommation d'opiacé. Les propriétés du produit, bien sûr, n'avaient pas été annihilées pour autant. Dorian en sentait encore l'effet lénifiant dans son corps. Ce constat lui inspirait un mélange de soulagement et de vague angoisse. Certes, cela l'aiderait à contrôler ses réactions en présence de Wotton, mais si par hasard quelque chose tournait mal, il serait à sa merci, presque autant qu'il l'avait été le soir du viol. Incapable sans doute d'une défense efficace.

« Basil sera là », se raisonna-t-il. « Basil l'empêchera de me toucher. »

Il était vraiment étrange de penser à Basil comme à un protecteur. Cet homme de taille moyenne, de carrure moyenne, de tempérament posé, pouvait difficilement passer aux yeux du commun pour le garde du corps idéal. Ne serait-ce qu'un mois auparavant, cette seule idée aurait parut risible à Dorian. A présent, cependant, son opinion avait évolué. Dorian avait vu de quels éclats de passion était capable Basil dès lors qu'il était concerné, et il devinait quelle force inattendue cette passion pouvait donner au peintre.

« Mais tu connais aussi la force de Wotton, maintenant » glissa une voix insidieuse dans son esprit. La drogue n'empêcha pas un frisson de courir le long de l'échine de Dorian.

Basil l'attendait dans le corridor, lui aussi en costume de soirée, d'une sobriété qui contrastait avec la mise étudiée de Gray. Le jeune homme savait mieux que quiconque de quelle façon la coupe audacieuse de sa redingote épousait sa silhouette élancée, quelle note élégamment insolente produisaient son gilet cintré aux luxueuses broderies et sa souple cravate de moire violet sombre. Il y avait encore peu de temps, il se serait délecté d'imaginer par avance l'effet de ses atours, et de constater combien ils mettaient en valeur son visage, le bleu intense de ses yeux et ses longues boucles dorées de dandy. Mais à cet instant, il se disait seulement que Wotton allait penser la même chose. Tel était bien le but, assurément, mais la certitude du succès ne rendait pas les choses plus agréables à Dorian.

Le regard ébloui de Basil mit soudain le jeune homme mal à l'aise, comme un écho à ses pensées.

- Tu es...commença Hallward d'une voix légèrement rauque.

- Ne le dit pas, s'il te plait, le coupa Dorian.

Basil se mordit la lèvre inférieure, comme chaque fois qu'il était embarrassé ou contrarié.

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 07, 2016 ⏰

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