Chapitre 6

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Prendre le pain. Emballer le pain. Poser le paquet sur le comptoir. Taper le prix sur la caisse. Demander la somme à la cliente. Prendre le billet tendu. Faire la soustraction. Rendre la monnaie. Faire un sourire et souhaiter une bonne fin d'après-midi. Rester bien droit et stable sur ses pieds jusqu'à ce que la cliente soit hors de vue...
Azenet se laissa à moitié tomber sur le petit plan de travail du côté de la caisse. Il nageait en plein milieu d'un rêve depuis quelques heures, sans parvenir à se concentrer plus de dix secondes d'affilée sur ce qu'il avait à faire. Pour ne pas commettre d'erreur dans son travail, il se forçait à formuler chaque action dans sa tête. Cela ne lui avait malheureusement pas évité de renverser une assiette et de rendre trois fois la monnaie faux à des clients. Par chance, ceux-ci étaient des réguliers, ils s'étaient donc contentés de le lui faire gentiment remarquer et avaient attendu qu'il corrige ses erreurs tout en bredouillant des excuses.

La fin de la journée approchait enfin et Azenet n'avait qu'une seule envie : rentrer chez lui et dormir. Cependant, même s'il avait pu retourner à son appartement directement après le travail, il aurait encore dû faire à dîner pour sa mère. Puis la vaisselle, aussi, pour finir par peut-être un peu de repassage ou de lessive. Sauf que ce soir, l'une des plus ferventes de leurs voisines avait accepté de le dépanner, soulageant le garçon et lui donnant sa soirée libre. Il ne savait pas s'il s'en réjouissait ou non.

Depuis le début des vacances la situation de sa mère s'était détériorée. Son état s'était soudainement aggravé, obligeant les médecins à augmenter fortement sa dose de médicaments. Elle avait haussé les épaules sans broncher en écoutant le médecin lui parler des effets secondaires qu'elle allait probablement subir. Il lui avait conseillé vivement de se faire hospitaliser. Elle avait refusé, et Azenet s'était senti coupable. Parce qu'il aurait dû être un bon fils, essayer de convaincre sa mère que c'était la meilleure solution, qu'elle guérirait plus vite, mieux. Mais il n'en avait rien fait, pour une raison qu'ils savaient tous les deux, sans jamais en avoir réellement parlé.

Azenet n'était pas majeur. Sa mère ne pouvait donc pas le laisser vivre seul pour une durée indéterminée. Si elle n'était plus capable de s'occuper de lui (ce qui semblait très ironique à Azenet, au vu de la situation), elle devrait trouver quelqu'un pour le faire. Et la personne la mieux placée pour l'accueillir chez elle, c'était son père. Sauf qu'il était hors de question pour le jeune homme d'aller vivre là-bas comme un intrus, loin de ses amis.
Il s'était donc contenté de détourner le regard aux dires du médecin, honteux.

Depuis, il supportait les humeurs changeantes de sa mère, bien plus violentes et imprévisibles qu'auparavant. Le jeune homme se sentait dépassé par tout ça. Les insomnies, les insultes implicites, les mots blessants, les regards haineux parfois... Il n'avait jamais pensé que tout irait aussi loin, que ce serait aussi sérieux. Il n'en dormait plus et remerciait son emploi du temps bien trop chargé, lui permettant de ne jamais avoir le temps de réfléchir et de ressasser. À force de courir tout le temps et dans tous les sens, il se rendait complètement malade. Il se demandait constamment combien de temps son corps allait encore pouvoir soutenir le rythme. Peu de temps, certainement, et il commençait à en devenir bien conscient, au fur et à mesure que sa vision se brouillait un peu plus chaque jour et que ses pieds avaient tendance à s'emmêler.

Il sursauta d'ailleurs en entendant le carillon de la porte se mettre à tinter. Il bondit sur ses pieds en ignorant le vertige qui s'empara de lui, et passa une main dans ses cheveux décoiffés, tentant de se préparer à accueillir au mieux le client. Son stress retomba doucement en reconnaissant le nouvel arrivant qui lui sourit chaleureusement dès que leurs regards se croisèrent.
- Salut Aze ! Ça va ?
L'interpellé hocha la tête avant de regarder la petite horloge fixée sur un mur à sa droite. C'était l'heure de la fin de son service, sauf qu'il n'avait pas commencé à ranger. Il allait devoir faire attendre son ami.
- Il faut que je range pour fermer, ça te dérange pas d'attendre un peu ? demanda-t-il, l'air légèrement anxieux.
- Oh, je suis venu trop tôt ? Désolé...
- Non, t'inquiète, c'est moi qui t'ai dit 17h30.
- Je peux aider ?
Il posa son sac sur le sol et s'avança pour attendre des directives. Azenet s'apprêtait à refuser poliment, mais une voix sur sa gauche l'arrêta.

Une année au lycéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant