Flot de silhouettes discordantes

Chapitre 3

Aileen comptait les secondes qui s'écoulaient avec une lenteur extrême. Chacune d'elles durait une éternité.

Elle eut fini les cours à 13h30 ; elle prit alors le premier bus qui passait et rentra chez elle le plus rapidement possible. Aileen aimait en général trainer sur le chemin entre l'arrêt de bus et son appartement. L'immeuble était situé un peu à l'écart de la ville, elle aimait donc bien faire le détour par l'extérieur de cette dernière et donc passer par la petite forêt pour rejoindre son chez elle qu'elle chérissait tant.

Mais aujourd'hui, tout devait être fait tellement rapidement, qu'elle prit le chemin le plus court et le fit en courant ; en courant aussi vite qu'elle put. Elle atteignit une vitesse qu'elle ne se serait jamais cru capable d'expérimenter un jour. Mais aujourd'hui était visiblement le jour de tous les possibles.

Une fois rentrée, Aileen se questionnait elle-même sur son comportement si étrange tout au long de la matinée. Pourquoi cet homme et ses paroles l'avaient autant chamboulé ?

Pourquoi est-ce qu'elle se dépêchait pour tout accomplir alors que cela ne ferait pas s'accélérer le temps ? Et que même, au contraire, cela le ralentirait. Elle aurait plutôt dû réfléchir de façon inverse et prendre tout son temps pour accomplir ses tâches du quotidien. De cette manière-là, elle aurait fait traîner les choses et la journée serait alors apparue moins longue. Bien que tout cela ne soit qu'une hypothèse, et qu'il y en avait d'ailleurs tant d'autres qui auraient pu être toutes aussi probables.

Elle ne savait plus sur quel pied danser. Un coup c'était la peur qui s'emparait de ses entrailles, la seconde d'après l'impatience, puis le dégoût. Des émotions qui n'avaient aucun sens, aucun rapport. Des émotions qui lui étaient d'ailleurs totalement inutiles.

Elle occupa le reste de son après-midi du mieux qu'elle le put, puis l'heure venue, Aileen mit son manteau, glissa dans sa poche un carnet et un stylo et s'en alla en direction du cimetière.

Le carnet et le stylo formaient pour elle une sorte de protection. C'était un moyen de se dire qu'elle pourrait noter tout ce qu'elle voulait ; ils étaient un rempart face à l'oubli. Et dans certain cas, le stylo aurait pu même lui servir à se défendre un tant soit peu (d'une façon très limitée toutefois) si Colin se révélait être un tueur en série, ou bien pire, qui sait.

La nuit était déjà tombée, laissant Aileen sous un ciel très sombre, et une légère brise rafraichissait encore plus l'atmosphère.

Durant tout le trajet, elle avait été prise d'une étrange angoisse qu'elle ne connaissait pas. Elle était plutôt le genre de fille assez sûre d'elle, n'ayant pas peur du contact social, qu'il soit étranger ou non. Elle ne parvenait toujours pas à comprendre pourquoi elle réagissait comme cela. La seule réaction qu'elle avait habituellement était la colère, jamais l'effroi.

Elle sentait ses jambes trembler à chaque pas qu'elle faisait, tout son corps frissonnait, sa gorge et son estomac étaient complètement noués, son rythme cardiaque s'accélérait et elle ressentait donc un fort essoufflement, lui aussi inhabituel puisqu'elle était relativement sportive.
Elle se demanda alors comment les personnes au tempérament stressé de nature faisaient pour supporter cette angoisse et ces sensations face à la plupart des situations, mêmes banales, auxquelles elles étaient confrontées chaque jour.

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Lorsqu'Aileen arriva près de la tombe de Malia, Colin était déjà là. Alors ce n'était vraiment pas un rêve ? Tout était réel, et Colin avait respecté ses engagements. Ne restait plus qu'à savoir dans quel but est-ce qu'il avait fait cela.

Sur le coup, elle eut une hésitation. Elle resta un peu en retrait ; elle avait la sensation de revivre exactement la même situation que le jour précédent, c'est-à-dire le jour de sa toute première rencontre avec Colin.