* Abi (suite''') *

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Les bruits de pas se rapprochèrent, irréguliers et étouffés, semblant longer les murs. Une main sur la crosse de son arme, Abi ferma les yeux et patienta.

Peut-être passerait-il son chemin. Il y avait beaucoup d'appartement, pourquoi s'arrêterait-il ici en particulier ?

La porte d'entrée cogna contre le mur quand quelqu'un s'appuya dessus et Abi grimaça.

Pourquoi aurait-elle de la chance, en même temps ?

Les pas continuèrent leur avancée, de plus en plus bruyants, au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient. La vaisselle cassée crissa et elle retint son souffle.

Le silence.

Aucun son ne traversait le silence à part celui de la respiration de l'intrus, saccadée, rauque.

La vaisselle craqua à nouveau, et Abi imagina l'autre tourner les talons pour s'éloigner... jusqu'à ce que la porte derrière laquelle elle était cachée bouge subitement.

Elle poussa un cri strident en braquant son arme, prête à tirer, quand l'homme la repoussa et tomba sur elle.

— Killian ! s'écria-t-elle en le reconnaissant.

Ils s'effondrèrent tous les deux contre le mur, envoyant la porte claquer contre le battant.

Abi repoussa le gamin qui se laissa tomber à côté d'elle avec un grognement. Elle vit alors son t-shirt recouvert de sang.

— Merde ! Killian, que s'est-il passé ?!

Elle regard autour d'elle pour chercher de quoi appuyer sur la plaie et empêcher le garçon de se vider de son sang, mais il n'y avait rien, aussi appuya-t-elle avec ses mains sur sa poitrine.

Il grogna, ouvrit des yeux égarés, puis sembla la reconnaître.

— Cache-toi, il arrive... murmura-t-il d'une voix presque éteinte.

— Qui ?!

Abi le fixait sans comprendre, s'affairant à essayer d'enrayer le saignement. Il agrippa alors violemment le col de son manteau et la tira vers lui.

— Il arrive ! cria-t-il presque. Cache-toi !

La jeune femme le regarda, effarée. Il la secoua alors fortement pour la faire réagir.

— C'est trop tard pour moi, fillette. Cache-toi avant qu'il arrive...

Comprenant soudain la situation, Abi sentit un froid glacial l'envahir.

— Qui ? demanda-t-elle dans un murmure.

Killian la fixa dans les yeux.

— Le dernier... Il les a tous tué. Il ne reste que nous... que toi. Tu dois rentrer pour leur dire ce qu'il s'est passé.

Il la repoussa encore une fois et montra les placards du doigt.

— Rentre là-dedans. Tu es assez petite pour y rentrer. Ne fais pas de bruit. Attends la nuit, et va-t-en.

La jeune femme était trop hébétée pour parler, alors il se redressa, réussit tant bien que mal à se mettre debout, tangua jusqu'à la porte, et la regarda une dernière fois.

— Cache-toi...

Abi se faufila, comme il le lui avait conseillé, dans un placard, enlevant d'abord deux étagères pour pouvoir rentrer. En jouant les contorsionnistes, elle réussit enfin à s'enfermer, laissant la porte légèrement entrebâillée pour surveiller dehors.

De là où elle se trouvait, elle avait vu sur une partie du salon, et surtout sur la porte, à l'entrée, donnant sur la fenêtre par laquelle elle regardait un instant auparavant.

Elle observa Killian avancer, trainant les pieds, à cause de ses blessures. Il tituba jusqu'à la fenêtre, leva son fusil et donna un coup de crosse dans la vitre pour la briser. Le bruit se répercuta dans tout le bâtiment.

Abi serra les dents, la peur au ventre, l'envie de vomir au bord des lèvres. Elle tenta de bouger mais se cogna la tête et repris sa position initiale.

— Je suis là, fils de pute ! hurla Killian par la fenêtre.

Silence.

Le garçon se mit à rire, mais fut pris d'une quinte de toux. Il cracha du sang qu'il essuya avec sa manche et positionna son fusil pour regarder par la lunette de tir.

— On a peur de venir ? lança-t-il en souriant.

Bang.

La balle le cueillit en plein front, balançant sa tête en arrière.

Abi poussa un cri de surprise, et, horrifiée, regarda le garçon tomber comme au ralenti. Son corps raide s'étala dans la poussière, soulevant une myriade de particules qui voletèrent dans un rayon de soleil.

Elle attendit, mais il ne se releva pas.

Killian, était mort. Le type qui ne l'aimait pas, qui lui avait presque fait du gringue, celui qui lui donnait moins que son âge.

La jeune femme resta à écouter le silence, à se demander pourquoi le monde ne tournait plus rond. Au dehors, elle entendit quelqu'un marcher. Quelqu'un qui ne se donnait pas la peine de ne pas faire de bruit. Une personne qui n'avait pas peur.

Le dernier.

Elle attendit, encore une fois, sans bruit, que les pas se rapproche. Les bouts de verre du rez de chaussée craquèrent, puis les marches.

Elle retint son souffle et laissa le battant du placard se refermer doucement. L'interstice entre la porte et le meuble lui laissait entrapercevoir le couloir. Elle colla son oeil et guetta l'ennemi. Une ombre apparut, se pencha sur Killian puis se redressa, se tournant vers elle.

Abi se recula brusquement, persuadée qu'il allait la débusquer. De lui, elle n'avait vu qu'une vague silhouette avec un blouson clair, un fusil en bandoulière.

La vaisselle crissa à nouveau sous les lourdes chaussures, la porte d'entrée émit un petit couinement. La jeune femme attendit, terrifiée. La personne qui était de l'autre côté du placard fit le tour, poussant les ustensiles qui gisaient à terre.

Puis le silence revint.

Une minute. Deux. Abi avait l'impression que les battements de son cœur pouvait s'entendre à des kilomètres. Elle posa le bout des doigts sur la porte avec précaution, et s'apprêtait à pousser quand les pas se firent entendre à nouveau. Figée d'horreur, la jeune femme regarda sa main trembler. Si elle lâchait le battant maintenant, elle serait découverte.

Avalant douloureusement sa salive, elle écouta les pas qui s'éloignèrent enfin.


Elle ne se souvenait pas combien de temps exactement, elle était restée là, cachée dans ce minuscule placard. À un moment donné, elle s'était enfin décidée à sortir, enjambant Killian en lui jetant un dernier regard.

Elle l'avait mal jugé. Il lui avait sauvé la vie.

Puis elle s'était enfuie dans la nuit.


Que tombent les feuilles... [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant