* Chapitre 3.7 : Noah *

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— Tu crois qu'on ne risque rien, ici ? demanda Mathias, dubitatif.

Noah arrêta de pincer l'arrête de son nez, son mal de tête toujours présent, et regarda autour de lui. Le matin même, alors qu'il faisait un tour d'inspection, comme tous les jours depuis qu'ils étaient arrivés sur cette plage, il avait découvert un bateau échoué, prit dans le sable et le béton de la ville, peu incliné. Irrésistiblement attiré par l'épave, il avait trouvé le moyen de grimper à bord pour inspecter l'intérieur.

Sur la coque rouge sang, maintenant rongée par la rouille, on pouvait lire « Aquarius » en lettres capitales. Noah n'était pas sûr du genre de bateau que c'était. Il avait pensé à un chalutier, ou un autre bateau de pêche, mais il n'avait rien trouvé à l'intérieur qui aille dans ce sens. Pas de poisson qui pourrissait dans les cales, pas de filet, ou de crochet. Rien qui ait un rapport avec la pêche.

Par contre, il avait trouvé une cinquantaine de mallettes de premiers soins, toutes bien alignées dans une cabine qui ressemblait plus à une infirmerie qu'à une cabine classique.

C'était bon pour eux, ça. Il prévoyait de garder ces mallettes précieusement. Tant pis pour le poids supplémentaire à porter.

— Noah ?

Le jeune homme sursauta. Il avait oublié Mathias.

— Tu vas bien ? s'inquiéta ce dernier. Ces temps-ci, tu as l'air... ailleurs.

Noah secoua la tête, grimaça à cause de son mal de tête, et essaya de reprendre ses esprits.

— Ça va, ne t'inquiète pas. Juste ce putain de mal au crâne qui ne veut pas passer...

Mathias le regarda d'un air peu convaincu.

— Il n'y avait pas d'aspirine dans les trousses de secours ? s'enquit-il.

— Non...

Pourquoi ne pas lui dire qu'il n'avait même pas pensé à vérifier ?

Le gamin n'insista pas, et repartit faire le tour du bateau, vérifiant que tout allait bien et que tout le monde était bien installé.

Noah se rendit compte qu'il n'avait pas répondu à la question.



La mer était calme, le vent était tombé.

Il n'y avait rien de visible à l'horizon, même en forçant un peu le regard. Noah s'y était brûlé la rétine plusieurs fois. Son teint avait commencé à se hâler grâce à l'air de la mer, et la réverbération des rayons du soleil sur l'eau, et de fines rides étaient apparues au coin de ses yeux. Il paraissait sans doute un peu plus vieux que ses trente quatre ans à présent.

Depuis quelques jours, des voix nouvelles avaient émergé dans sa tête, provocant une cacophonie de plaintes et de lamentations. Submergé par ce bruit, il ne voyait plus les signes. Il se sentait perdu, harassé, et avait l'impression d'être seul au monde.

Quelqu'un tira sa manche.

La gamine devait avoir cinq ou six ans. Elle avait de longs cheveux châtains foncés, raides, avec une frange épaisse qui recouvrait la totalité de son front. Comme la plupart ici, ses joues étaient creusées et des cernes entouraient ses grand yeux ambrés.

Il s'accroupit à côté d'elle avec un sourire fatigué.

— Qu'est-ce qu'il y a ma puce ?

— On est sur l'Arche ?

Noah fronça les sourcils, perplexe.

— L'Arche... ?

Elle le regardait toujours avec ses grands yeux innocents.

— Oui, tu sais, celle avec les animaux...

L'homme plissa les yeux, n'étant pas sûr de comprendre.

— Tu es Noé ? insista la petite.

Elle montra le bateau d'un geste de la main.

— On est sur l'Arche, non ?... Maman m'a raconté l'histoire de Noé, tu sais...

Noah ouvrit la bouche mais aucun son ne sortit. Depuis des jours, il cherchait les signes, comme ceux qui lui avaient permis d'arriver jusqu'ici sain et sauf. Et il ne trouvait pas. Les voix dans sa tête, toujours plus nombreuses, l'empêchaient de se concentrer. Il commençait à se dire qu'il n'y avait pas de signe, qu'il avait imaginé tout cela et qu'ils étaient arrivés sur cette plage par hasard.

Il se redressa et regarda autour de lui.

Était-ce le signe ?

Était-ce cela qu'il devait faire ? Être un messie pour ces gens ?

Les voix dans sa tête se turent d'un seul coup, un calme étrange, presque serein l'envahit.

La gamine attendait sa réponse.

— Je crains qu'il ne soit un peu difficile de faire monter deux éléphants et tous les autres animaux sur ce bateau, ma puce...

La déception apparut sur le visage de la petite fille.

— ... par contre... on pourra peut-être amener tout le monde à bon port...

Elle sourit comme si elle avait vu le Père Noël, et tourna les talons, rentrant en courant dans les cabines.

Avait-il eu raison de lui faire croire cela ?

Il n'en était pas certain. Mais voir l'espoir dans ses yeux l'avait convaincu d'une chose : il ferait ce qu'il pourrait pour sauver toutes ces personnes.

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 01, 2017 ⏰

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Que tombent les feuilles... [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant