Chapitre 5

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L'hiver durait. Les jours étaient sombres et glacials. Les nuits étaient terrifiantes et sans fin. Nos réserves s'amenuisaient et pourtant je ne voyais toujours pas le bout de cet hiver. Yona et Lidel n'auraient bientôt plus rien à manger et la viande des deux Rizkals commençaient à manquer. Je pouvais toujours essayer de recommencer une chasse aux carnivores mais c'était tellement risqué. Ils étaient devenus sanguinaires et terriblement violents. La faim les avait rendus totalement aveugles au danger. La nuit dernière une meute de Rizkal avait presque réussi à rentrer dans la petite étable. J'étais arrivé à temps pour les faire fuir avec l'aide de Norbrum, j'avais récolté une longue balafre à la cuisse. J'avais donc rapatrié Lidel et Yona dans la maison avec Llorë, Norbrum et moi. Les carnivores étaient devenus incontrôlables, même un guerrier expérimenté aurait du souci à se faire contre ces bestioles. Alors moi ? J'étais affaibli par l'hiver, affaibli par la faim, affaibli par mes anciennes blessures mal guéries et affaibli par celle de la veille. Je n'avais aucune chance mais je n'aurais bientôt plus le choix. Pour Llorë je devrai encore une fois aller au delà de mes capacités, mentales et physiques.

Si l'hiver ne s'arrêtait pas bientôt nous allions mourir. Cela faisait trois jours que Llorë ne disait plus un mot et qu'elle ne bougeait plus de devant la cheminée. Les seuls sons provenant d'elle étaient les cris déchirants de son ventre. J'avais essayé... J'avais essayé de tuer une nouvelle proie même si la partie était perdue d'avance. Pour ma petite sœur j'avais essayé. J'avais échoué. J'avais bien failli y laisser la vie mais dans une dernière action j'avais réussi à faire fuir la bête. J'étais resté couché au sol pendant un temps indéterminé, jonglant entre la conscience et les ténèbres jusqu'à ce que Norbrum me trouve et prévienne ma sœur par des piaillements aigus. Llorë avait dû me traîner dans la maison afin qu'un carnivore ne vienne pas me dévorer. Mon corps, bien qu'aussi faible et en manque de beaucoup de choses, avait réussit à se remettre. Enfin, se remettre était un grand mot. J'étais devenu tellement faible et impuissant. C'était à peine si j'arrivais à aller chercher du bois la journée. J'entendais les prédateurs rôder, sentant mon sang et ma faiblesse, mais je devais le faire... Comme j'aurais dû pouvoir nourrir ma sœur. Une seule option se dessinait à présent devant nous : Yona et Lidel... C'était inconcevable pour moi au début de l'hiver mais je ne l'avais pas prévu si rude, si dur, si mortel. Je chassais rapidement cette idée de ma tête mais elle revenait à chaque fois que je voyais les côtes saillantes et les joues creusées de ma petite sœur. On allait trouver une solution. Cette phrase, je me la répétais en boucle depuis deux semaines. Mais peu à peu j'en oubliais le sens. A quoi bon se la répéter et garder espoir ? Il n'y avait pas d'autre solution. Je me laissais trois jours. Trois jours pour trouver une alternative à cette horrible fatalité. Au-delà... je n'aurais plus le choix.

Les ennuis ne s'arrêtaient pas là... Notre royaume était entré en guerre. Ils avaient commencé à engager les soldats. J'ignorais combien de jours il me restait avant qu'ils ne viennent me chercher et m'emmener de force. Si je partais, c'en était terminé. Qu'avais-je comme choix ? Pourquoi tout était-il si compliqué en ce monde ! Pourquoi le sort s'acharnait-il sur les misérables ! Quelque soit la réponse ça ne changeait rien, Llorë avait besoin de moi et quoiqu'il arrive je ne la laisserais pas.

-Aragost !

Llorë me secouait énergiquement. C'était son premier mot depuis deux semaines. J'ouvris brusquement les yeux et vis son petit visage rond effrayé. Je m'assis, tentant de sortir de mon sommeil presque comateux. C'est là que j'entendis. Des hurlements. Des hurlements de douleur qui provenaient du village. On les entendait jusqu'ici. Je bondis sur mes pieds à la recherche de mon arc et ma dague, mes seules armes. Je les saisis et me retournai vers Llorë, la vue de ma petite sœur me serrait horriblement le cœur. Elle était si pâle, si maigre, si fatiguée et... si effrayée. Elle parla d'une voix tremblante.

Condamné à VivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant