Chapitre 8

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-Donc tu n'as pas eu le droit au repos du paradis ?

-Cesses de parler du "paradis".

-Pourquoi ? T'es frustré de pas avoir pu y aller ?

-Nan, absolument pas. Que ce soit l'un ou l'autre côté ça n'apporte rien de bon. La mort est mauvaise quoiqu'il arrive.

-Voilà une vision bien pessimiste de la mort.

-On peut pas être optimiste en étant une âme.

-Non, correction; en étant l'âme d'un homme mauvais.

-J'ai jamais dit que j'étais quelqu'un de mauvais.

-Alors qu'avais tu bien pu faire pour te retrouver en enfer ?

Eldrensil ne répondit pas.

-Alors ?

-Peu importe qui j'étais.

-Malheureusement pour moi tu es toujours.

L'âme ne répondit pas encore une fois.

-Bon, visiblement ce n'est pas la peine d'insister.

Je m'arrêtais pour ramasser des baies. Je prenais tout ce que je pouvais trouver. Je me nourrissais essentiellement de fruits mais lorsqu'ils venaient à manquer je tuais un animal. J'avais dû me résoudre à cette solution en cas de pénurie de nourriture. Il fallait que je le fasse pour vivre mais je le faisais toujours avec respect et remerciais mes proies une fois celles-ci au sol. Ma famille me manquait, Norbrum me manquait mais je n'étais pas tout seul. Même si Eldrensil n'était pas d'une compagnie des plus agréables je m'en contentais et lui parler me permettait de tenir bon. C'était une âme méprisante et cruelle mais je n'avais de toute façon pas le choix de vivre ou non avec lui. Je continuais ma route vers l'Est. J'ignorais ce que je cherchais mais je comptais sur le destin pour donner un but à mon long voyage. J'espérais juste qu'il soit plus clément avec moi cette fois-ci.

Les semaines passaient et la routine du voyage s'installa. Depuis quelques jours la météo devenait de plus en plus désagréable. Le vent et la pluie rendaient difficile chaque pas. Le sol était boueux et impraticable. Alors que le soir tombait je dus me résoudre à me rendre à une auberge. Je ne pouvais pas dormir dehors, c'était impossible et j'avais besoin de repos. A contrecœur je rejoignis les chemins et suivi les panneaux. Alors que le ciel avait fini de revêtir son voile noir j'atteignis enfin le petit hameau. J'entrai dans l'auberge où je voyais une douce lueur à travers les fenêtres. Lorsque je franchis le seuil de la porte je sentis sur ma peau une vague de chaleur et une odeur de nourriture. Ces sensations procurèrent en moi un sentiment réconfortant. Cela faisait plusieurs moi que je n'avais pas pu me réchauffer correctement ou être au sec. Je me dirigeais finalement vers l'aubergiste.

-Bien le bonjour mon petit monsieur et bienvenue à l'auberge du Cheval Fougueux !

L'homme était un peu rondelet et avaient deux bonnes joues bien rouges. D'apparence il semblait chaleureux et amical. Ses courts cheveux noir brillaient à cause de la graisse qui les recouvrait. Il avait toutes les caractéristiques de la caricature d'un parfait aubergiste. Je me redressai tout en enlevant le capuchon noir qui dissimulait mon visage. L'aubergiste me suivit des yeux et sembla se recroqueviller sur lui même. Il semblait regretter de m'avoir qualifier de "petit monsieur".

-Que puis-je pour vous ?

Je vis sur son visage de la crainte. C'est alors que je me rappelai soudain mon visage étrange. J'avais remarqué il y a quelques semaines, alors que j'étais penché au dessus d'un cours d'eau et que mon visage se reflétait à sa surface, que mes yeux avaient changé. Je n'avais plus les yeux bleu sombre de mon père. Ils avaient pris une teinte plus claire mais plus étrange encore ils étaient légèrement lumineux. Eldrensil m'avait expliqué que c'était la preuve qu'il était en moi. C'est ainsi que j'avais compris que je passerais le restant de ma vie avec des yeux spectraux; pas facile à assumer tous les jours... Je compris donc le soudain changement d'attitude de l'homme. Je baissai immédiatement la tête.

-Euh... Il vous reste une chambre ?

J'entendais Eldrensil ricaner.

-Oui bien sûr ! Dit l'homme avec un ton stressé.

Il chercha quelque chose sous son bar et en ressortit une grosse clé rouillée et me la tendit, la main presque tremblante.

-Tenez ! C'est la chambre 6, au premier étage, tout au fond du couloir, à gauche.

Je saisis la clé.

-Une dernière chose, pouvez-vous me dire où nous sommes exactement ?

L'aubergiste avala difficilement sa salive et me répondit.

-Vous êtes au village de Warhend près de la fontière Sud-Est de Milador, si vous continuez vers le sud vous serez sur les terres de Cydestelle en 2 semaines.

Cette dernière partie de la phrase sonnait comme une invitation à sortir au plus vite de Milador. Je hochai la tête pour remercier l'homme et me dirigeai vers la chambre 6. L'auberge était plutôt ancienne et sale mais c'était mieux que le sol boueux que j'aurais pu avoir cette nuit. Je déverrouillai avec difficulté la serrure de ma chambre et lorsqu'elle céda enfin j'entrai et jetai mon sac sur le sol et posai mon arc et mes flèches contre une petite table. Je pris juste le temps d'enlever mes bottes recouvertes de terre avant de m'effondrer sur le lit. Je devais faire mes plans pour le lendemain. J'irais vers le sud. J'espérais que Cydestelle ne soit pas une contrée trop dangereuse. C'était dans des moments comme ça que je me rendais compte de la faiblesse que c'était de ne pas connaître grand chose du monde. Mes parents m'avaient appris tout ce que j'avais à savoir sur mon Royaume mais presque rien sur les autres. Mais je savais au moins une chose, continuer vers l'Est était une mauvaise idée. En effet la forêt Oïlis s'étendait par delà la frontière de Milador. Cette forêt était connue de toutes les contrées. Elle était réputée pour être extrêmement dangereuse et toute personne s'y aventurant n'avait quasiment aucune chance d'en ressortir. On racontait que plus vous avanciez plus la forêt devenait dense et mortelle. Certains disaient qu'elle était hantée par des esprits maléfiques, peut-être que je pourrais m'en sortir avec Eldrensil. Je pourrais m'installer en plein cœur de la forêt et ainsi je n'aurai plus à me méfier des gens. Je secouai la tête pour m'ôter cette idée de la tête. Je ne survivrais pas plus de deux heures dans cette région. Maintenant que la question de la direction que je devrais prendre demain était réglée je devais penser à comment j'allais payer l'aubergiste. Je n'avais pas une seule pièce d'or sur moi. Je pouvais essayer de voler les autres clients de l'auberge mais je doutais de mes capacités de voleur.

-Je pourrais t'aider.

Eldrensil revint à la charge avec son caractère de mal honnête.

-Nan c'est une mauvaise idée, on ne vole pas les gens. Et de toute façon je ne vois pas comment tu pourrais m'aider, tu n'es qu'une âme piégée dans mon corps.

-J'ai plus de capacités que tu ne le penses. Toi aussi d'ailleurs, grâce à moi.

-Je ne suis pas sûr de vouloir les entendre.

-Bien sûr que si tu veux tout savoir.

-Je crois que je n'ai pas le choix de d'écouter ou non de toute façon.

-En effet mais vu que tu n'as aucunement l'attention de te servir de tes facultés ce soir je ne me fatiguerai pas à t'expliquer.

-Quoi ? Sérieusement Eldrensil ? Tu me mets l'eau à la bouche et finalement tu ne me dis rien ?

L'âme ne répondit pas.

-Eldrensil !

-Tu devrais te taire ou les gens de l'auberge vont soupçonner une schizophrénie avancée chez toi.

-Parfois, je me demande si t'es vraiment réel ou si je suis juste fou.

C'était décidé je partirais demain par la fenêtre et je partirais le plus loin possible avant que l'aubergiste ne se rende compte de quoi que ce soit.

Je finis la soirée en mangeant des baies et en allant dormir dans un lit chaud et confortable.

Condamné à VivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant