Chapitre 3

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Clarence fixe le plafond sans rien dire depuis plus d'une demi-heure. Son téléphone n'arrête pas de vibrer contre le bois de la table de nuit, mais elle ne décroche pas ses yeux de la peinture blanche au-dessus de sa tête. Léane dessine, assise en tailleur sur son lit. De temps en temps, elle jette un coup d'œil à Clarence. Le mutisme dans lequel elle est plongée la fascine et l'inspire : Léane dessine une route tordue et irrégulière, un ciel recouvert d'étoiles, et une silhouette couchée au milieu de la voie. Elle se demande à quoi pense la jeune fille à ses côtés. Elle n'a pas dit un mot depuis qu'elle est sortie de la salle de bains. Son ventre se tord à cette idée : elle est venue la sauver. Clarence Jane est venue la sauver, elle, Léane Cosmi. Ses bras se couvrent de chair de poule lorsqu'elle se souvient de la voix paniquée qu'avait Clarence, de la force qu'elle avait dans ses bras pour la maintenir avec elle, pour la garder contre elle. Elle était triste de ne pas avoir pu profiter de ce contact comme elle l'aurait voulu. Sur le dessin, elle a l'impression qu'il manque quelque chose. Elle approche le crayon de la feuille, et, tout au fond de la route, elle dessine le contour d'une voiture. Avec sa gomme, elle éclaircit le paysage pour donner de la luminosité aux phares. Elle regarde le croquis, et fronce les sourcils. Elle dessinait Clarence, alors pourquoi cette idée soudaine d'y ajouter quelque chose de dangereux ? Comme si son geste seul d'être allongée sur la route ne suffisait pas à donner le goût du risque qu'elle prenait.

Le téléphone de Clarence, cette fois, se met à sonner. Elles sursautent toutes les deux et échangent un regard qui semble durer une éternité alors qu'il n'est que furtif.

― Tu comptes répondre ? demande Léane en assombrissant le paysage qui se trouve loin de la voiture.

― Non, répond simplement Clarence.

Léane lui jette un regard étonné, et la jeune fille soupire :

― J'étais censée dormir dans la chambre de mes amies.

Léane serre ses doigts plus fort autour du crayon de papier. Elle essaye de ne rien laisser transparaître sur son visage, se contente de hausser les épaules :

― Alors pourquoi tu n'y vas pas ?

Le regard de Clarence se trouble et ses yeux se perdent dans le vide. Elle ne regarde ni Léane, ni autre chose, elle est plongée dans son propre univers, comme si elle revoyait quelque chose derrière l'écran de ses pupilles.

― Clarence.

La langue de Léane vient claquer contre ses dents et elle se sent soulagée. Elle ressent un lien fort envers les noms. Lorsqu'elle nomme quelque chose, c'est comme si elle l'autorisait enfin à exister dans son monde. Elle vient d'autoriser Clarence à partager un morceau de sa vie, même si cela ne doit durer que deux jours. Elle sait déjà qu'elle le regrettera, mais que peut-elle y faire ? Elle a besoin que cette fille rentre dans sa vie, elle a besoin de sa présence, de sa voix et de son contact.

Elle rougit quand elle se rend compte qu'elle pense tout ça alors qu'elle est en conversation avec elle. Elle n'a pas le droit de se dire des choses pareilles. Elle ne doit pas avoir besoin de Clarence, elle ne doit surtout pas en tomber dépendante.

Alors, pourquoi tout en elle lui hurle qu'il est déjà trop tard ?

Heureusement pour Léane, Clarence est bien trop perdue dans ses pensées pour s'occuper de son trouble. La question de Léane résonne dans son esprit. C'est vrai, tiens, pourquoi n'y va-t-elle pas ? Pourquoi ne laisse-t-elle pas Léane derrière elle pour foncer s'amuser ? Pourquoi n'y parvient-elle pas ?

Sous ses doigts, elle ressent encore les pulsations faibles et espacées du cœur de la jeune fille. Elle en est encore chamboulée, à tel point qu'elle place ses doigts au niveau de son propre pouls pour essayer d'oublier cette horrible sensation. Elle essaye de se raisonner, sans succès.

Pour elle...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant