Pour elle...

Chapitre 10

Clarence sourit contre l'épaule de Léane, et se détache d'elle pour plonger son regard dans le sien. C'est comme se jeter dans un lac gelé : cela la cloue sur place et elle coule à pic dans ces yeux gris qui pétillent sous les rayons du soleil. Clarence écarte une mèche du visage de Léane qui frissonne devant ce simple geste. Dans sa tête, elle ne cesse de se répéter que Clarence a pris un risque pour elle. L'embrasser en plein milieu du couloir est une preuve, non ? Une preuve qu'elle est prête à être avec elle, que c'en est fini de ses allers-retours incessants. Elle se mord la lèvre, et les yeux bleus de Clarence s'y posent immédiatement.

Le temps semble s'être figé, leurs gestes sont lents et il semble s'écouler une éternité avant que Clarence vienne sceller leurs lèvres de nouveau. Léane aurait préférer planer un peu plus longtemps dans le ciel dégagé de ses iris, mais elle accepte sans rechigner la douceur de ce baiser. La pression qu'inflige Clarence sur sa bouche lui montre bien assez combien elle désire ce contact, mais à peine ont-elles le temps de s'y adonner que Clarence est expulsée loin de Léane. Celle-ci ouvre les yeux et les fronce instantanément : Clarence est étalée sur le sol et se masse la mâchoire. La terminale est prête à la rejoindre par terre pour s'occuper d'elle, mais un type d'un mètre quatre-vingt-dix se dresse devant elle et lui lance un regard dissuasif. De son mètre cinquante-trois, Léane décide de la jouer discrète et ne bouge pas d'un millimètre.

Elle jette un regard inquiet à Clarence qui se redresse avec peine sur les coudes.

― Putain Titouan, je peux savoir c'est quoi ton problème ?

Difficile de ne pas rire en voyant que ce mec, à la carrure imposante et musclée, porte le même prénom que celui d'un cerisier dans un dessin animé pour gosses. Léane se sent moins intimidée, d'un coup, mais un simple regard à la veine qui palpite sur le front du garçon la fait rester à sa place. Clarence, apparemment, le connait.

― T'embrasses une meuf en plein milieu du lycée et c'est moi qui ai un problème ?

Mais qu'est-ce qu'il lui veut, c'est son copain ou quoi ? songe Léane. Un goût amer dans sa bouche lui rappelle que ce serait totalement dans le domaine du possible. Après tout, Clarence est manipulatrice en chef, qu'est-ce qui lui assure qu'elle est célibataire ? Et puis pour péter un plomb de la sorte, il faut bien être amoureux, non ? Elle, elle ne deviendrait folle de la sorte que pour Clarence, que parce qu'elle l'aime et que ça dépasse tout le reste. Elle...

Elle secoue sa tête pour chasser ces pensées et se rend compte que Clarence s'est relevée. Le garçon serre les poings, il n'a pas l'air de regretter une seule seconde son coup porté sur le visage de la première. On dirait même qu'il s'apprête à recommencer. Léane fronce les sourcils et esquisse un pas en arrière. Il fait volteface vers elle.

― Je t'interdis de bouger !

Sa voix rauque et puissante glace Léane sur place. Pétrifiée, elle ne peut décrocher son regard de lui, alors qu'il se concentre de nouveau sur Clarence qui a les larmes aux yeux.

― Arrête, laisse-la tranquille !

― Tu veux que je laisse cette pute tranquille ? C'est ça que tu veux ? beugle-t-il.

Oui, beugler est ici le mot qui convient tant il fait penser à une bête. Le visage rouge, les yeux exorbités par la colère, l'œil vif et furieux. Il ne manquerait plus qu'il gratte la terre sous ses baskets et qu'il fonce tête baissée en avant, et on y est.

― C'est entre toi et moi, laisse-la en-dehors de ça, réplique Clarence.

Léane voudrait bien lui dire de la jouer fine et de le laisser s'exprimer tant qu'il reste à son mètre de distance, cependant elle n'ose pas ouvrir la bouche. Elle connait de vue le groupe dans lequel il traîne, et elle veut absolument éviter tous types d'histoires avec eux. Au self, ce sont ceux qui virent les plateaux-repas des secondes jusque sur le sol s'ils ont le malheur de prendre place à leur table. Elle n'a jamais eu de problèmes avec eux, mais elle sait très bien à quoi ça ressemble d'en avoir. Elle a suffisamment vu de lycéens se faire humilier par ces imbéciles devant l'établissement entier. Des joggings déchirés en cours de sport à l'acide renversé sur le sac à dos... Ces types n'hésitent pas à innover pour se faire respecter. Et ça marche plutôt bien, puisque tout le monde courbe l'échine sur leur passage.