PROLOGUE

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ZARA



Le temps.

Il ne m'avait jamais paru aussi long. Aussi pénétrant, alarmant, stressant. On ne pouvait rien faire contre le temps. Il était maître de notre monde, de nos vies. Il était le seul à gagner sur toutes ces personnalités, bonnes ou mauvaises, qui peuplaient notre univers. Il régnait en souverain suprême, décidant pour nous de ce qu'allait être notre avenir, du temps qu'il nous restait. Nous obligeant parfois, à accélérer, surpasser, surmonter, pour aller plus vite, pour aller au bout. Puis c'était lui, une fois fini, qui décidait du moment où nous devions partir.

La course contre le temps n'avait jamais vraiment existé. Le combat non plus. Le temps n'était pas une entité à part entière, on ne pouvait pas le toucher, le changer, l'arrêter. On devait l'accepter, voilà tout. Patienter, réfléchir, mûrir. Le temps nous donnait toutes ces occasions et bien plus encore. Mais nous avions tous le malheur de passer à côté.

Encore à cet instant, je maudissais le temps. Parce qu'il me séparait de mon verdict tant attendu. Assise sur une chaise en plastique, en plein milieu de ce que j'appellerais un food-truck d'intérieur, la pièce d'un blanc immaculé essayant de relever un peu l'estime de ce (presque) restaurant, je patientais, ma jambe tressautant nerveusement depuis une bonne dizaine de minutes.

Mes yeux n'arrivaient pas à se poser sur un point fixe mais refusaient obstinément de regarder mon interlocuteur. J'essayais de ne pas penser, me laissant envahir par les odeurs de barbecue et de graisse brûlée, observant les serveurs, montés sur des patins à roulettes, déambuler sur le carrelage noir et blanc entre les tables, et laissant les notes rythmées de Jailhouse d'Elvis Presley provenant du Jukebox, envahir mes oreilles.

Vous l'aurez compris, j'étais dans un de ces restos façon années 50, remastérisé en spécial barbecue, le gérant étant un ancien grand gagnant de ces concours de viandes grillées, très prisés aux État-Unis.

Comment en étais-je arrivée là ? Je me remémorai encore ma course folle qui m'avait d'abord conduite au bureau de ce cher directeur de production avant d'être finalement informée qu'il était parti déjeuner, il y avait de ça dix minutes. J'étais donc repartie aussi vite que j'avais pu, pour me rendre dans ce fast-food pour le moins étrange, afin de donner mon texte à cet homme barbu et peu commode, aussi connu sous le nom de M. Hamilton.

Et j'attendais. Encore. Sa lecture n'étant pas encore terminée. Peut-être le faisait-il exprès, parce que je l'avais dérangé pendant son repas. Je ne savais pas. Cependant, malgré son air bourru, je savais qu'il n'était pas méchant. Et surtout pas assez immature pour faire ce genre de chose.

Il croyait en moi. Il me disait que j'avais du talent, que j'étais née pour être au sommet. Je n'étais pas sûre de vouloir le croire, néanmoins, c'était lui qui avait insisté pour me rencontrer, il y avait de ça, deux mois. J'avais longuement refusé, m'obstinant à filtrer ses appels, à ne pas me présenter aux rendez-vous, et à demander à l'un de ses assistants de lui dire de me laisser tranquille. Ce livre n'était pas fait pour être vu. Il était lu, compris, apprécié ou critiqué. On s'identifiait à l'histoire, ou non, peu m'importait. Mais ce n'était pas le genre de chose qui pouvait faire l'objet d'autant d'attention.

Mais je n'avais pu échapper à sa présence, comme si le destin avait tout fait pour le mettre sur mon chemin. Enfin, en l'occurrence, dans ma situation, le destin portait le même nom que mon manager, qui avait eu la bonne idée de me tendre un piège afin que je le rencontre enfin. Tout le monde me disait que ce serait un tremplin pour ma carrière. Mais je n'étais même pas sûre de vouloir faire carrière dans ce métier. Ni d'avoir autant de notoriété.

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