Chapitre 22: Le crime de rêver...

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Les cahots me bercent. Mes yeux se ferment par à-coups quand je ne fais pas attention.
La faible lanterne ne parvient pas à me tenir éveillé, ni les brulures, ni les blessures ni les coupures.
Toute cette douleurs m'ankylose le corps entier. Mon cerveau me supplie de me laisser aller, tel un démon qui vous susurre à l'oreille de vous abandonner, aux profondeurs des ténèbres.
Je sens mon pauvre cœur cogner dans mes membres.
Le froid, poignant qui s'incruste dans mes os, qui s'infiltre dans mes vêtements humides.

J'essaye pourtant, je m'abandonne, je me laisse dériver, mais d'autres démons me retiennent à la surface.
Comment, je ne sais pas, je ne sais plus, tellement de choses restent inexplicables.
J'envie Weavershouse, le manoir de mon enfance, la bâtisse de mes rêves, mon chez-moi calme et paisible. Je pense aux innombrables livres prenant la poussières sur les lourdes étagères de la bibliothèque. Je me souviens de l'odeur rassurante du parquet sous mes pieds nus. Je me souviens de la chaleur des rayons du soleil qui filtraient joyeusement par la lucarne pour s'échouer délicieusement sur mes épaules. Des notes qui résonnaient au grés de mes doigts, qui virevoltaient dans un crescendo endiablé ou dans une douce mélodie rappelant le printemps.
Des fleurs et herbes hautes des champs venant chatouiller mes mollets de temps en temps. De cette agréable frustration de ne pas pouvoir peindre, de ne pouvoir expliquer ni dessiner ce que cette joie vous procure. Ce cocon qu'on m'a brisé, dont on m'a arraché, dont je suis si loin à présent.
Mes paupières se ferment, doucement, dans ce mélange de vert et de bleu, me regardant, de ses iris intriguant, sombrer dans le doux coton du sommeil.
Je me sens tomber, de plus en plus bas, tout est blanc. Je suis à l'endroit, tantôt à l'envers et cette douce phrase me revient; elle s'imprime dans ma tête, résonne dans mes oreilles...

***

J'entends au loin des voix et des cris. Je me réveilles en sursaut les yeux encore lourds de sommeil. Tous mes membres sont endormis et  je reste là à fixer d'un regard vide le bois noirâtre de la charrette. Je ne pense plus à rien, tout est si vide et si froid. J'ai envie de rester la pour l'éternité. Depuis bien longtemps je me sens sereine. Pas comme si rien ne pouvait plus m'atteindre, mais plutôt comme si je me fichais éperdument de ce qu'il pourrait bien m'arriver. 

Je sens une petite pression sur mon épaule. Je sursaute et me tourne lentement vers la gauche pour m'apercevoir qu'un petite silhouette est penchée au dessus de moi. Un petit garçon, âgé de plus au moins 10 ans, essaye timidement d'attirer son attention.
"Princesse." Me chochotte-t-il.
Ca me fait comme un choc électrique. Je ne sais pas si cela me rassure. Je ne sais pas si cela me terrifie, mais cela me faisait bien longtemps qu'on ne m'avait pas appelé comme ça.
Je lui sourie, enfin j'essaye.
"Bonjour. Tu peux m'appeler Erin." je lui réponds d'une voix rocailleuse qui me surprend.
Il a l'air déstabilisé, mais continue.
"Je.. On m'envoit vous chercher, Ma Dame".
Il se lève rapidement, pour m'inciter à le suivre.
J'ai du mal a me relever. Mes blessures, et mon visage commencent à me lancer.
Je soupire lourdement et pour me donner un peu de répit, j'interroge le garçon.
"Comment tu t'appelles?"
Je vois qu'il s'impatiente car il jette de bref coup d'œil vers la sortie. Je me lève péniblement et ma tête tourne tellement que je retombes à genoux.
Le garçonnet m'aide à me relever, paniqué.
"Est-ce que je dois aller chercher de l'aide?"
"Non, ne t'inquiète pas."
Je le rassure, et je me hisse à nouveau et trouve mon équilibre. Je lui fais signe de me précéder et de m'emmener vers je ne sais qui qui m'a convoquée.
Il s'élance alors hors de la charrette et me tiens le rideau en tissu, comme un jeune page tiendrait la porte à une dame de la court.
Et je rigole tout haut à cette pensée, car je n'ai pas du tout l'air d'une princesse, pas pour l'instant en tout cas.
"Je m'appelle Silas."Me répond-il.
Je suis sur le point de lui répondre que son prénom est très joli, mais je suis coupée par la scène qui se déroule devant moi.
Je reste bloquée, devant la charrette. Des dizaines et des dizaines d'hommes sont dispersés autour de moi. Je ne sais pas ou je suis. Il fait noir dehors, et il fait froid.
Je viens de me rendre compte que je n'était pas seule dans cette charrette, que Isaiah, Saadi et Basher, le cocher, ont tous les trois disparus. Mais le pire c'est qu'il m'a fallu autant de temps pour le comprendre. J'ai l'impression de devenir folle.
Je crois que Silas en a marre de m'attendre et il me tire par la main. Je le laisse m'entraîner, me guidant, tandis que je ne quitte pas cet attroupement des yeux. Les hommes chuchotent, ils s'interpèlent entre eux quand ils me voient. Mais la plupart sont trop occupés à aiguiser des lames, à nettoyer leurs équipements, à entretenir des selles ou juste se nourrir. J'essaye d'en reconnaître, et je me rends compte que j'en connais la plupart.
Je suis choquée quand je reconnais les hommes d'Uriah. Ce sont pour la plupart les hommes partis travailler à la mine. Et il y en a d'autres que je ne reconnais absolument pas.
Je me saisis, pensant que nous avons été capturés pas les gardes de Uriah, enfin c'est ce que je déduis de la présence des prisonniers masculins.
Je cherche alors les gardes, je tourne la tête plusieurs fois, mas aucune trace de gardes.
Le petit Silas m'entraîne dans une allée qui mène à un rassemblement. Je regarde autour de moi, et je m'aperçoit que nous nous trouvons dans une grande clairière.
Je me retrouve au milieu de cet assemblée.
Je me sens toute petite entre toutes ces carrures imposantes.
J'ai la gorge sèche et mon ventre gargouille. Au plus j'essaye de comprends ou je suis, au plus mon crâne me lance.
Je sens que la pression sur ma main disparaît, et Silas me lance un bref, "au revoir", avant de m'abandonner là en courant. J'essaye de la rattraper en vain.
"Ah, te voila enfin!".
Je sens un bras s'enrouler autour de ma nuque pour me retourner vers l'attroupement.  
Je reconnais la voix de Saadi et je suis tellement rassurée que je failli m'écrouler; Je m'accroche à son épaule, et j'attends un instant que ma tête ne tournes plus.
Il m'aide à m'asseoir près d'un feu, où une douzaine de lapins cuisent. Je me sens oppressée, et je me sens étouffée par toutes ces personnes autour de moi. Elles ne me voient même pas. Et je n'ai qu'une envie, c'est de m'enterrer vivante.
Je ne fais que regarder droit devant moi, en priant qu'ils s'en aillent, et surtout que le brouhaha autour de moi s'arrête et qu'on m'explique calmement ce que je fous la.
Il me reste assez de lucidité pour savoir que j'ai l'air d'une tarée quand je ramène mes genoux vers moi et que je presse mes paumes sur mes oreilles, tandis que je continue à fixer le feu.
Je relève brièvement les yeux et je vois le visage l'Isaiah, de l'autre côté du feu, illuminé pas les flammes oranges. Il est pensif, penché au-dessus de parchemins, qu'il incline pour capter la lumière. Il converse avec quelqu'un que je ne connais pas.
Je vois alors Saadi lui taper l'épaule. Isaiah relève alors sa tête vers son frère, et ce dernier me désigne d'un signe de tête.
Il croise mon regard et reste la un instant à me regarder, tandis que je me crispe de plus en plus, tremblant de froid.
Il se lève d'un bond, et je fixe la place vide qu'il vient de laisser.

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