1. REPOS FORCÉ (Partie IV)

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J'obtempérai et remontai dans la voiture. Ma meilleure amie actionna les essuie-glaces et s'engouffra dans la circulation. J'aurais volontiers passé la demi-heure suivante dans le silence le plus total, jusqu'à ce qu'elle m'ait déposée devant la porte de ma maison, mais j'avais besoin de lui poser une question.

Dane commençait à m'inquiéter. J'avais du mal à entendre ce qui pouvait le pousser à se murer dans le silence en permanence. Je comprenais plus que quiconque sa douleur, cependant, il n'en restait pas moins que son mutisme n'était pas normal.

— Lage, je voudrais te demander quelque chose, amorçai-je au bout d'un moment.

— Bien sûr, fit-elle en détachant son regard de la route un instant.

— Avec Dane, tu...

Je m'interrompis devant l'air perplexe qu'elle afficha. Je la vis se crisper sur le volant, puis poser les yeux sur la forêt environnante. Nous venions de quitter le centre-ville et la route serpentait à présent entre deux bandes de conifères d'une hauteur vertigineuse.

— Leaven, est-ce que c'est vraiment le moment de me demander ce genre de choses ?

Ce fut à mon tour de la dévisager. Puis, je saisis. Elle avait tout compris de travers.

— Oh... non, ce n'est pas ce que je voulais dire, m'excusai-je en levant les deux mains et en m'empourprant. Je voulais plutôt parler de son comportement. Euh... ce que je sous-entendais, c'est... Enfin, tu arrives à lui parler, toi ?

— Ah...

Elle semblait aussi ennuyée que moi. Génial ! J'avais le don pour plomber une ambiance déjà pourrie.

— Tu veux parler de ça... continua-t-elle.

— Écoute, me lançai-je tout à coup. Ça a beau être mon frère, on ne devrait pas être gênées pour aborder ce genre de sujet. Tant que ça reste... légal, moi, ça me va ! tentai-je de plaisanter pour détendre l'atmosphère.

Lage esquissa un sourire et la tension retomba d'un coup.

— Ça me va aussi, rigola-t-elle.

Je devais reconnaître que Lage me faisait du bien. Sa seule présence comptait beaucoup à mes yeux. Évidemment, elle ne pouvait pas effacer ma souffrance en un claquement de doigts, mais l'avoir à mes côtés me permettait de maintenir le cap. J'avais ma famille et j'avais Lage — un point de repère dans mon univers dévasté.

— Sincèrement, ce n'est pas très évident, reprit-elle, revenant au sujet initial. Je le connais depuis longtemps, mais ça fait pourtant peu de temps que je le fréquente réellement. Je veux dire... quand on a commencé à sortir ensemble, ta mère était déjà malade depuis un moment. Il a toujours été calme et sans histoire. Et puis, les mois passant, j'ai l'impression qu'il s'est enfermé dans une bulle. Et ces dernières semaines, j'avoue que je n'arrive plus du tout à communiquer avec lui. Ça fait trois jours maintenant que ta mère est morte et... ça fait trois jours qu'il ne m'a pas donné signe de vie. Heureusement que je l'ai vu à l'enterrement aujourd'hui, sinon je me serais fait du souci.

Elle marqua une pause et poussa un soupir.

— Tu as dû me trouver ridicule, tout à l'heure, souffla-t-elle.

— Quoi ?

— Au cimetière. Je n'ai pas su quoi lui dire. Tu as dû me trouver bête.

— Non, Lage, la rassurai-je. Je t'ai juste trouvée sincère et touchante. Crois-moi, Dane ne t'a peut-être pas parlé, mais il est heureux de t'avoir. Fais-moi confiance. Il t'aime, ça, j'en suis certaine. C'est simplement qu'il est bouleversé.

Qui tentais-je de convaincre en disant cela ? Elle ou moi ?

— Merci, mais... j'aimerais quand même pouvoir faire quelque chose pour lui.

— Et si tu restais avec nous ce soir ? proposai-je. Peut-être que ça lui sera bénéfique d'être un peu avec toi.

— Et s'il refuse ?

— Eh bien, ce sera pour une autre fois. Il faut bien commencer par quelque chose.

— Alors, c'est d'accord, accepta-t-elle en s'engageant sur le chemin de cailloux qui menait à la maison.

Indiscutablement, notre demeure avait du style — ancien, certes, mais du style quand même —, entourée par la forêt d'un vert profond. Cependant, elle avait perdu de son charme depuis que ma mère n'y vivait plus. Lage s'arrêta dans le garage ouvert où se trouvait déjà la Ford de mon père.

Je remarquai au passage la voiture du Docteur Pierce, garée devant l'entrée de la maison. J'étais surprise d'apprendre qu'il devait nous rendre visite, même si j'en étais soulagée — un soutien de plus ne ferait pas de mal à papa.

— Merci de m'avoir raccompagnée, Lage.

— Pas de problème.

Je récupérai ma pochette noire contenant des mouchoirs et mon portable. Je m'assurai de ne pas avoir l'air trop abattue en me regardant dans la petite glace du pare-soleil. Je jetai ensuite un coup d'œil par la lunette arrière de la Bentley — en prenant soin d'éviter de poser les yeux sur le carton contenant les affaires de ma mère —, l'ondée n'était pas près de cesser.

— Passons par l'intérieur, décidai-je en désignant la porte communiquant entre le garage et la cuisine.

Je m'engouffrai la première et m'arrêtai net en apercevant mon père. Lorsqu'il me vit franchir le seuil de la pièce, il devint rouge pivoine, ce qui me laissa perplexe. La tasse qu'il tenait entre ses mains commença à tanguer dangereusement. Je le savais perturbé, mais là, j'avais juste l'impression de tomber au mauvais moment. Ses lèvres se mirent à trembler tandis qu'il cherchait ses mots.

— Leaven, mais... que fais-tu là ?

— Eh bien, je... je reviens de l'hôpital, bégayai-je à mon tour. Bonjour, Docteur Pierce, enchaînai-je en m'approchant du quadragénaire aux cheveux grisonnants avant de lui serrer la main.

— Bonjour, Leaven. Comment te sens-tu ?

— Ça peut aller, avouai-je. Docteur, je...

Je ne savais pas trop comment lui dire ce que j'avais sur le cœur. La seule certitude que j'avais restait qu'il s'était toujours montré disponible et prévenant, dans toutes les situations. Il nous avait aidés, bien au-delà de ses compétences médicales.


L'OMBRE DU PHENIX (Auto-édition disponible sur Amazon)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant