1. REPOS FORCÉ (Partie XI)

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— Dane ! s'exclama notre père, soulagé.

Je me levai — et m'aperçus que j'avais littéralement émietté le biscuit sur mon tee-shirt — avant de m'approcher de mon frère. Je le fixai longuement, espérant qu'il comprendrait qu'il n'était pas dans son intérêt de se montrer dur avec Nate.

— Quoi ? fit-il, peu coopératif.

— Je voudrais tout vous expliquer une bonne fois pour toutes, commença mon père. J'aimerais au moins que tu écoutes ce que j'ai à dire.

— Vas-y.

Je revins m'asseoir aux côtés de Nate. Visiblement, la partie semblait perdue d'avance. Dane n'avait pas l'intention de faire le moindre effort et cela ne fit que renforcer mon sentiment de culpabilité de m'être montrée si peu compréhensive tout à l'heure. Il se contenta de rester debout et se retourna à peine lorsque son oncle vint prendre place dans l'autre canapé.

— C'est quoi ? Une réunion de famille ? s'enquit-il en haussant les sourcils.

— Dane... l'interpella oncle Sam. Écoute avant de juger.

Je ne pus que le rejoindre sur ce point-là. Aussi, je hochai la tête lorsqu'il posa son regard sur moi. Mon père se lança et nous expliqua tout d'abord comment il avait découvert sa maladie. Il s'était levé patraque un matin, puis le matin suivant et le surlendemain. Il avait d'abord mis ça sur le compte de la fatigue et du stress que lui procurait la situation de Nidy.

Sur les conseils du Docteur Pierce, il avait fini par passer des examens pour s'apercevoir qu'il était atteint par un cancer généralisé à évolution rapide. Le médecin avait estimé qu'il s'agissait d'un contrecoup consécutif à l'état de ma mère — ce genre de chose était plus fréquente qu'on ne le croyait, d'après lui.

Mon père choisissait chacun de ses mots et tâchait d'être bref devant l'impatience que manifestait Dane. Ce dernier était raide comme un piquet, les mains sur les hanches, visiblement pressé de s'éclipser.

— Bon, écoute, on a compris, le coupa-t-il brusquement. On sait que tu vas mourir et c'est aussi dur pour toi que pour nous, papa. Mais tu dois te mettre à notre place. Nous ne sommes plus des gamins.

Il s'interrompit et se pinça l'arête du nez. Je constatai avec soulagement que sa carapace était en train de se fissurer.

— Papa, tout ce que je te demande, c'est un peu de temps pour encaisser tout ça, poursuivit-il.

Mon père eut un faible sourire.

— Tu me demandes la seule chose que je n'ai pas.

La bouche de mon frère forma une ligne mince et son menton se mit à trembler. Je me levai aussitôt et tendis les bras dans sa direction, m'attendant à ce qu'il me repousse — plus par fierté qu'autre chose, d'ailleurs. Pourtant, il s'y engouffra avec désespoir et c'est le cœur serré que je tentai de lui murmurer des mots réconfortants. Je surveillais du coin de l'œil la réaction d'oncle Sam et je n'eus pas de mal, en interceptant son regard, à deviner qu'il se sentait mal, lui aussi.

— Il faut que je te demande quelque chose, papa, lâchai-je brusquement.

Dane se redressa, oncle Sam se raidit et mon père afficha une mine résignée.

— Je t'écoute.

— Comment envisages-tu la suite pour nous ? Je veux dire... qui va s'occuper de nous ?

Le frère de Nidy se leva sans crier gare et commença à arpenter le salon de long en large, tournant comme un lion en cage. J'avais conscience de ne pas être très fair-play en le mettant devant le fait accompli, en l'obligeant à affronter mon père, à lui avouer qu'il était prêt à tout simplement nous laisser tomber.

— Malheureusement, je n'en ai pas la moindre idée. J'ai peur que vous ne deviez plus compter que sur vous-mêmes.

Je haussai les sourcils d'étonnement. Il était donc au courant de l'abandon de Sam ? Comment pouvait-il dans ce cas accepter une chose pareille ?

— Qu'est-ce que ça veut dire ? se stupéfia d'ailleurs Dane, la voix tremblante.

— Ça veut dire que je...

— Attends, Sam, intercéda mon père. C'est à moi de leur dire.

Il se leva prudemment du canapé, s'approcha de son beau-frère et le serra un instant dans ses bras. Pour ma part, je n'avais toujours pas lâché celui de Dane. Encore une fois, je m'accrochais à lui comme à une bouée de sauvetage et j'espérais sincèrement qu'il me soutiendrait sur ce coup-là. Nate fit ensuite un pas dans notre direction, les mains verrouillées, paume contre paume.

— Dane, Leaven, j'ai demandé à votre oncle de bien vouloir réfléchir à votre situation. Je la lui ai exposée dans les moindres détails, je l'ai invité à peser le pour et le contre et de bien analyser chaque paramètre. J'avais parfaitement conscience en lui proposant cela de le contraindre à un sacrifice certain et c'est pourquoi je ne lui tiens nullement rigueur d'avoir refusé. De toute façon, j'estime que vous êtes assez grands et matures pour vous gérer tous seuls. J'ai d'ailleurs fait le nécessaire pour que vous puissiez désormais gérer notre argent. Vous n'êtes plus des enfants, vous êtes autonomes et intelligents. Vous vous en sortirez, je ne me fais aucun souci là-dessus. Mais la seule chose que je vous demande, c'est de rester ensemble. Vous aurez chacun besoin du soutien de l'autre, et croyez-moi, vous réussirez tout à deux. Faites-moi cette promesse, ne vous séparez jamais. Nous n'avons aucune famille en dehors de votre oncle, alors soyez compréhensifs avec lui. Ce n'est pas parce qu'il ne peut pas vous aider qu'il ne tient pas à vous. Ayez ça à l'esprit et serrez-vous les coudes. Je vous assure que si j'avais pu faire autrement, je l'aurais fait. Mais les choses ne se passent pas toujours comme on le souhaite, vous le savez mieux que quiconque... Dane, poursuivit-il, prends soin de ta sœur, s'il te plaît. Tu es tout ce qu'il lui reste à présent. Tu veux bien faire ça pour moi ?


L'OMBRE DU PHENIX (Auto-édition disponible sur Amazon)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant