Je m'étais réfugiée dans le jardin, juste après avoir quitté mon père. Je n'avais pas revu Dane et je me doutais qu'il était, lui aussi, sorti prendre l'air. Il fallait dire que nous venions d'apprendre que notre père, notre désormais unique parent, allait mourir.
Ce n'était pas tant le fait d'encaisser la nouvelle que de la découvrir au dernier moment qui était le plus difficile à avaler. Je n'en revenais toujours pas de m'apercevoir qu'il avait été prêt à nous dissimuler une vérité aussi importante durant tout ce temps. Je n'arrivais pas à le comprendre. Avait-il vécu la même chose que nous avec la perte de maman ?
Il avait forcément dû se douter que nous ne réagirions pas bien face à cette annonce. Pire, avait-il seulement eu, un jour, l'intention de nous le dire ? Si je n'étais pas rentrée plus tôt que prévu, peut-être ne l'aurais-je jamais su.
Je m'appliquais à effeuiller les trèfles qui poussaient à profusion au milieu de notre pelouse. Au lieu d'un jardin, il s'agissait plutôt d'un bout de terrain vert jouxtant l'orée du bois, si bien qu'il n'y avait pas vraiment de limite définie. Il y avait, à une petite dizaine de minutes de marche, un minuscule cours d'eau qui serpentait à travers bois.
C'est là que je choisis de me rendre en m'enfonçant sous le couvert de la végétation. J'avais besoin de réfléchir et d'être au calme. C'est pourquoi je fus surprise en entendant des craquements inquiétants, quelques instants à peine après être arrivée. Je poussai un soupir de soulagement en réalisant qu'il s'agissait d'oncle Sam. Je n'étais pas parano, mais tout le monde savait que les loups et les ours peuplaient les forêts du Montana.
- Leave, tu es là, souffla-t-il en me distinguant à son tour.
- Oncle Sam ? Qu'est-ce que tu viens faire là ?
- En réalité, je te cherchais. Ton père s'inquiète pour toi.
Mes mâchoires se serrèrent malgré moi. Il vint s'asseoir à mes côtés sur le sol humide, les deux coudes posés sur les genoux.
- Leave, je...
- S'il te plaît, ne viens pas me servir ta morale, oncle Sam. Tu ne sais pas ce que ça fait.
- Ne crois pas ça, me détrompa-t-il. Je sais ce que c'est que de se retrouver impuissant face aux problèmes que doit affronter une personne que tu aimes. Tu n'imagines pas à quel point ça a été dur pour moi de voir mourir ta mère sans pouvoir l'aider. C'était ma sœur et je suis docteur. J'aurais dû être capable de faire quelque chose...
Ses yeux étaient humides et ses lèvres déjà minces ne formaient plus qu'une ligne étrécie - il allait se mettre à pleurer. J'étais un peu ennuyée - je n'étais pas très douée pour consoler les gens quand je me trouvais moi-même dans une situation inextricable. Le silence pris derechef ses quartiers. Le chant des oiseaux et le bruissement du ru me donnèrent l'impression d'être des hurlements face au fossé qui s'installait entre nous. Au bout de ce qui me parut une éternité, il reprit la parole :
- Ta mère et moi, on aimait bien venir ici... avant.
- C'est vrai ?
- Oui, c'est si tranquille. Quel meilleur endroit pour réfléchir ?
J'opinai.
- Écoute, Leave. Je ne suis personne pour te dire ce que tu as à faire, mais je connaissais assez bien ta mère pour savoir qu'elle n'aurait pas approuvé ta réaction.
Je me raidis instinctivement. Je n'avais sincèrement aucune envie de parler de cela maintenant. Il était encore beaucoup trop tôt, mieux valait laisser ma colère redescendre. Je ramassai une poignée de cailloux et les jetai un par un dans l'eau. Lorsque je me débarrassai du dernier, le bruit de l'impact se répercuta tellement de fois qu'il me fallut plusieurs secondes pour m'apercevoir qu'il s'était remis à pleuvoir. Un quart d'heure, voilà le seul répit qui nous avait été accordé.
VOUS LISEZ
L'OMBRE DU PHENIX (Auto-édition disponible sur Amazon)
ParanormalLa réalité est l'ensemble des phénomènes considérés comme existants effectivement par un sujet conscient. Voilà ce qu'est la réalité pour Leaven, 17 ans. La mort de sa mère est une réalité, tout comme l'idée de ne pas reprendre le chemin du lycée. A...