Une fois arrivées au deuxième étage, nous tournâmes à gauche dans le couloir. Je me dirigeai ensuite vers le petit comptoir d'accueil où je saluai l'une des personnes les plus douces que je connaissais.
— Bonjour, Madame Tyler.
Elle releva la tête de ses papiers et je vis son visage s'assombrir brutalement lorsqu'elle me reconnut.
— Leaven, Lage... Tu vas bien ? s'enquit-elle en se levant et en me faisant face.
— Ça peut aller. Merci, Madame Tyler.
— Je te l'ai déjà dit, appelle-moi Jill.
— Merci, Jill, repris-je donc, touchée par sa proximité.
— On se connaît depuis longtemps, maintenant, enchaîna-t-elle. Et même si j'aurais préféré que ça se fasse dans d'autres circonstances, je suis heureuse d'avoir pu te rencontrer.
Elle ouvrit ses bras dans un geste tout naturel et je ne vis aucune objection à la laisser m'embrasser.
— Je suis sincèrement navrée pour toi, Leaven. Ta mère était quelqu'un de bien et d'apprécié. Il y avait du monde, ce matin.
Je fronçai les sourcils avant de remarquer le pantalon de tailleur noir qu'elle arborait sous sa blouse.
— Je viens juste d'arriver, précisa-t-elle en interceptant mon regard.
— Merci d'être venue, couinai-je.
— Nous sommes là pour récupérer les affaires de Madame Saven, expliqua Lage en volant à mon secours.
— Bien sûr, suivez-moi.
Elle s'engouffra dans le couloir tandis que j'adressais une moue penaude à mon amie. Elle me tendit une main et je m'en emparai avec avidité. Sa peau était froide, mais moins que la mienne. Elle m'entraîna à sa suite et nous fûmes rapidement devant les trois petits chiffres dorés que je connaissais par cœur, ceux de la chambre 103.
— Nous nous sommes simplement permis de rassembler ses effets dans ce carton, commenta Jill en ouvrant la porte. Prends tout ton temps, ajouta-t-elle en s'éclipsant sans traîner.
Je ne pus réprimer la vague de frissons qui m'envahit en découvrant la pièce inoccupée. Le lit était fait — les horribles draps verts impeccablement tirés, prêts à accueillir un nouvel arrivant —, la poignée de renfort triangulaire pendant laborieusement dans le vide.
Pourtant, j'aurais donné n'importe quoi pour voir cette chambre rester déserte, une sorte de sanctuaire dédié à ma mère où personne d'autre ne serait autorisé à mettre les pieds. C'était stupide de ma part. Je n'avais pas la sensation d'une présence, ni même la moindre vision fantomatique de son corps étendu sur le lit, mais j'avais l'impression que voir cet endroit occupé par quelqu'un d'autre briserait inéluctablement un lien invisible.
J'étais surprise de découvrir à quel point le bruit des machines et des goutte-à-goutte me manquait, tout comme la respiration sifflante de ma mère. Tout demeurait définitivement trop calme. Je lâchai la main de Lage et m'approchai de la fenêtre. Le store à lamelles était entrouvert et laissait filtrer la grisaille ambiante.
J'avais toujours trouvé cette chambre — sans mauvais jeu de mots — triste à mourir, avec ses murs vert malade et son éclairage médiocre. La lumière du jour y pénétrait avec peine et je ne pus m'empêcher de caresser du bout des doigts la lampe sur pied dans le coin ouest de la pièce.
Chaque fois que je lui rendais visite, j'allumais ce luminaire avant de me justifier auprès d'elle : « Puisque le soleil ne veut pas entrer dans ta chambre, laisse-moi t'apporter un peu de lumière. » Et chaque fois, elle affichait le plus beau sourire à sa disposition — qui n'était autre qu'une grimace de souffrance à peine effacée — et me répondait : « C'est toi mon soleil. »
Je m'empressai de sécher les larmes qui avaient coulé sur mes joues, avant de m'emparer du carton posé en équilibre sur la chaise jaune en plastique dur, terriblement inconfortable au passage.
— Tu ne veux pas rester encore un peu ? suggéra Lage en me voyant déguerpir.
Je la regardai rapidement par-dessus mon épaule et hochai négativement la tête. Je l'entendis refermer la porte et me rattraper au pas de course.
— Tu veux que je t'aide à porter ça ? continua-t-elle, probablement troublée de me voir prendre mes jambes à mon cou.
— Non, merci, déclinai-je.
Nous repassâmes devant le comptoir où Jill avait repris ses occupations. La ligne de ses sourcils se brisa en son centre lorsqu'elle nous vit nous diriger d'un pas pressé vers la sortie. Je me contentai de lui adresser un sourire contrit et captai du coin de l'œil le haussement d'épaules de Lage.
— À bientôt, nous salua-t-elle quand même.
Je ne répondis rien et m'engouffrai dans l'ascenseur. Il s'en fallut de peu pour que les portes ne se referment sur mon amie. Je vis son visage changer d'expression, passant de la contrariété à l'inquiétude. L'engin nous vomit et je me faufilai jusqu'à l'extérieur. Une fois n'est pas coutume, l'air frais me fit du bien. Je pris une profonde inspiration et penchai doucement la tête en arrière, laissant les gouttes de pluie marteler ma peau.
— Tout va bien ? s'enquit Lage, paniquée cette fois.
Je me redressai et rouvris les paupières.
— Oui, désolée. Il fallait que je sorte de là.
— Il t'aurait suffi de me le dire, Leaven. Ne supporte pas ça toute seule, s'il te plaît. Là, tu m'as fait peur.
— Désolée, répétai-je. C'est juste que... je ne veux plus jamais remettre les pieds ici. Je ne supporte plus cet endroit. Ça me rappelle trop de mauvais souvenirs, trop d'heures passées à attendre.
— Ne t'en fais pas, me tranquillisa-t-elle en posant une main sur mon épaule. De toute façon, tu n'as plus aucune raison de revenir. Donc, fin du problème. Maintenant, viens, m'encouragea-t-elle en jetant un regard exaspéré sur la nuée pluvieuse. Je te raccompagne chez toi.
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L'OMBRE DU PHENIX (Auto-édition disponible sur Amazon)
ParanormalLa réalité est l'ensemble des phénomènes considérés comme existants effectivement par un sujet conscient. Voilà ce qu'est la réalité pour Leaven, 17 ans. La mort de sa mère est une réalité, tout comme l'idée de ne pas reprendre le chemin du lycée. A...