Le Bibliothécaire

Chapitre 5 - Le livre

L'histoire était celle d'un petit garçon qui aimait beaucoup lire. Il lisait toutes sortes de livres : romans d'aventure épiques, contes féériques, recueils de nouvelles fantastiques, enquêtes énigmatiques, livres d'astronomie, de géographie, de peinture, de musique. Dans la lecture, tout lui plaisait. Les mots dansaient devant ses yeux et formaient des images dans son esprit, parfois si vives et si envoûtantes qu'elles en paraissaient magiques. Mais plus que tout, le petit garçon aimait pénétrer le monde des livres pour échapper au monde réel.

Le petit garçon était le seul enfant d'une très modeste famille du village, vivant de presque rien. Il était contraint d'effectuer des petits travails pour aider ses parents à subvenir aux besoins du foyer. Le maigre pécule que son père ramenait était tout juste suffisant pour lui permettre d'acheter l'alcool qu'il buvait en cachette et que sa mère utilisait comme excuse pour nourrir d'interminables disputes qui pouvaient durer des nuits entières. Bien souvent, la présence du petit garçon au cœur de la maison devenait également un sujet de conversation controversé, ses parents lui reprochant de consommer plus qu'il ne leur rapportait. Le petit garçon parlait rarement, en dehors des petits cris qu'il lâchait lorsqu'une gifle venait lui rougir la joue.

Ainsi, chaque jour ou presque, le petit garçon s'enfuyait dans la bibliothèque de son village. Cet endroit magnifique était, disait-on, plus ancien que le village lui-même, et aurait été construit par un peuple ayant quitté ces terres bien des siècles auparavant. Le petit garçon n'avait aucun doute quant à la nature magique du lieu. Il y trouvait un refuge, un sanctuaire, où il pouvait s'abreuvoir de savoir et de connaissances tout en s'isolant de la terrible réalité de l'extérieur.

Malheureusement, cette terrible réalité frappa le village de plein fouet au cours de la dixième année du petit garçon. La guerre faisait rage dans la région, et la bourgade, maigre en ressources et en hommes, pensait être épargnée par les pillages et les raids. Cet espoir de clémence fut balayé lorsqu'une armée toute entière marcha sur le village en ravageant tout sur son passage. Partout, les habitants hurlaient, pleuraient, couraient, sans pouvoir arrêter la terrible main du destin qui s'était abattue sur eux. Alors qu'ils s'enfuyaient, le petit garçon vit le cœur de sa mère être transpercé par une flèche écarlate, avant d'être abandonné par son père qui s'enfuit dans une rue adjacente. Voulant le rattraper, le petit garçon l'aperçut également se faire trancher la gorge par un homme au visage masqué.

En proie au désespoir et envahi par la peur, le petit garçon courut vers le seul endroit où il savait qu'il pouvait trouver refuge : la bibliothèque. Il s'engouffra dans le bâtiment et verrouilla l'unique porte derrière lui. Il s'enfonça ensuite au plus profond du labyrinthe de livres jusqu'à ne plus pouvoir entendre les cris et les explosions provenant de l'extérieur.

Le lendemain, le village n'était plus que ruines et cendres. Par un étrange miracle, la bibliothèque semblait cependant globalement intacte. En son sein, le petit garçon était toujours caché, seul au milieu des ouvrages. Il avait pris sa décision. Il en avait assez vu du monde extérieur pour ne plus vouloir y vivre. Plus jamais il ne sortirait de la bibliothèque, plus jamais il n'en ouvrirait les portes. Les livres renfermaient une infinité de mondes bien plus accueillants que celui dans lequel il était né.

Les années passèrent, et le village se reconstruisit. Les générations s'enchaînèrent, les habitations évoluèrent, les mœurs changèrent. Pourtant, un bâtiment se dressait toujours fièrement au beau milieu de la commune, comme si les ans n'avaient pas d'emprise sur lui. De grandes lettres argentées indiquaient « Grande Bibliothèque » au-dessus de ses portes à double-battant toujours closes, et au plus profond de ses rayons regorgeant de livres, le petit garçon avait grandi, enveloppé dans l'aura magique de l'édifice, jusqu'à excéder l'espérance de vie des autres êtres humains.

Pourtant, au cours de toutes ces décennies, jamais il ne brisa la promesse qu'il s'était faite de ne plus quitter la Bibliothèque.