Il était une fois dans un bourg à la modeste prospérité, un bâtiment bien étrange. Constitué de massives pierres blanches harmonieusement agencées, il dominait de nombreux mètres les autres habitations de la commune. D'imposantes colonnes gravées soutenaient la structure tandis que des tuiles orangées se chevauchaient en cercles concentriques sur son toit sans qu'aucune ne manque à l'appel. De larges vitrines impeccablement nettoyées laissaient entrevoir l'intérieur du curieux édifice : en son sein, d'innombrables étagères étaient alignées en un dédale qui s'étendait à perte de vue. Et sur chacune de ces étagères, des centaines, des milliers de livres demeuraient endormis, sans que jamais personne ne vienne les ouvrir et découvrir les histoires qu'ils renfermaient.
Au-dessus de la massive porte d'ébène sculptée qui scellait le bâtiment du reste du monde, de grandes lettres d'argent lustrées annonçaient : « Grande Bibliothèque ».
La Grande Bibliothèque était le sujet de bien des conversations dans le village, et ce depuis plusieurs générations. Nombreux étaient ceux qui étaient nés dans ces rues, qui y avaient grandi, joué, aimé, fondé une famille, aimé encore plus, vu leurs enfants grandir, puis les enfants de leurs enfants. Et pourtant, aucun d'eux n'avait jamais vu les portes de la Bibliothèque s'ouvrir. Depuis plus longtemps que le plus âgé des habitants pouvait se remémorer, le halo de mystère qui enveloppait le curieux bâtiment n'avait fait que s'épaissir, sans que jamais aucune réponse ne soit apportée aux interrogations qu'il soulevait.
L'énigme de la « Bibliothèque qui n'était jamais ouverte » réveillait également l'engouement des plus jeunes pour l'aventure et l'investigation. Ainsi, il n'était pas rare que des enfants et des adolescents vienne s'aventurer près des colonnes de pierre qui entouraient le bâtiment au cour de la journée ou de la nuit, dans le but d'y trouver une entrée secrète ou un indice quant à l'identité de son propriétaire.
Car il existait une autre légende dans le bourg, intimement liée à celle de la Bibliothèque elle-même : il était dit qu'un homme habitait à l'intérieur de l'imposant bâtiment, seul parmi les milliers d'ouvrages entreposés. Sans jamais être vu par qui que ce soit, il s'évertuait à épousseter les étagères, trier les livres, laver les vitrines, lustrer les parquets, et surtout, verrouiller l'unique porte du bâtiment.
D'aucuns affirmaient que ces histoires de vieillard invisible n'était qu'un conte de fée destiné à faire peur aux plus jeunes enfants pour les empêcher de sortir de chez eux la nuit. D'autres étaient convaincus que la bâtisse était habitée par un groupe d'esprits vengeurs, âmes maudites d'une famille y ayant habité il y a plusieurs centaines d'années. D'autres ne croyaient à aucunes de ces légendes et se contentaient de détourner le regard quand ils passaient à proximité des vitrines de la Bibliothèque, car « on ne sait jamais ».
***
« Moi, je suis sûr que c'est un dragon, dit un petit garçon aux cheveux noirs comme les plumes d'un corbeau.
– N'importe quoi, répliqua un deuxième, châtain, au nez récemment tordu par une mauvaise chute de vélo. Comment un dragon pourrait vivre dans un bâtiment aussi petit ? Et puis, il brûlerait tous les livres, ou alors il les mangerait.
– Mais si, il sort la nuit par le toit et mange des gens et des chèvres, insista le premier. Comme ça, après il n'a plus faim et il peut rentrer.
– Dans ce cas, pourquoi il vit pas dehors directement ?
– Et pourquoi toi, tu vis pas dehors ? Parce que t'as froid et que t'as besoin d'une maison ! Bah le dragon c'est pareil.
– Mais un dragon ne peut pas avoir froid ! Et pourquoi il sortirait la nuit, s'il avait froid ?
– Rigel, Altaïr... Vous venez ? On va pas vous attendre ! »
La fillette qui avait interrompu les deux garçons en plein débat posait sur eux un regard autoritaire. Ses yeux en amande étaient fermes et sérieux, et ses petits poings étaient clos et posés sur ses hanches dans une posture un peu trop théâtrale.
« C'est Rigel qui dit n'importe quoi parce qu'il a la trouille, dit le garçonnet au nez busqué.
– C'est même pas vrai ! protesta le dénommé Rigel, le plus jeune des trois enfants. C'est juste que... Vous viendrez pas vous plaindre, après, si y'a un dragon !
– Mais il peut pas y avoir de dragon ! soupira Altaïr en se pinçant l'arête du nez. Dis-lui, toi, Adhara !
– Il peut pas y avoir de dragon, Rigel, rassura la jeune fille. C'est vrai, il deviendrait fou, avec tous les fantômes ! »
Le chétif Rigel écarquilla les yeux et fit un pas de recul. Adhara éclata de rire, tandis qu'Altaïr désespérait et se demandait qui avait eu l'idée de l'amener avec eux. Rigel n'avait que huit ans et était trop jeune pour comprendre l'importance de leur expédition. Eux autres étaient plus âgés, et plus matures, et savaient exactement quels risques ils encouraient. Après tout, lui et Adhara allaient bientôt avoir onze ans, tandis que leur chef, Pollux, était presque un adulte puisqu'il venait d'avoir treize ans.
Interpelé par les gémissements de Rigel et impatient d'aller de l'avant, le chef du groupe vint à la rencontre du trio.
« Bon, qu'est-ce qui se passe ici ? dit Pollux en toisant ses camarades de son regard bleuté.
– J'ai pas la trouille ! se défendit aussitôt le benjamin sans qu'on lui ait adressé la parole.
– Tant mieux, répondit l'aîné. Vous êtes prêts ? Il va bientôt faire nuit noire, on va plus rien voir. Altaïr ?
– Ouais, acquiesça ce dernier. J'ai le matos, et j'ai piqué ça à mon père. »
Il désigna une vieille échelle en bois posée contre un mur derrière lui.
« Parfait. Adhara ?
– J'ai tout un sac rempli de cailloux, mais c'est vachement lourd alors je l'ai laissé un peu plus loin, près de la maison de la vieille folle avec ses chats.
– OK, on en aura besoin uniquement si le plan A échoue. Et Rigel...
– J'ai pas la trouille ! répéta le jeunot.
– Très bien. Tu sais que tu n'es pas obligé de venir avec nous...
– Je veux venir ! Je veux connaître le secret de la Bibliothèque ! »
Echangeant quelques hochements de tête déterminés, le groupe d'enfants s'élança et démarra l'opération qui allait à la fois satisfaire leur intarissable curiosité et les transformer en célébrités locales : l'infiltration dans la Grande Bibliothèque.
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Le Bibliothécaire
AventuraDans une petite ville modeste et isolée, un étrange mais magnifique bâtiment attise la curiosité et la crainte chez les habitants : la Grande Bibliothèque. En effet : depuis de nombreuses générations, celle-ci ne s'est jamais ouverte, et serait gard...