VI
Munich, novembre 1933
Le vent souffle contre les vitres de l'appartement. Il fait si froid pour un mois de novembre, que je me demande presque si je ne me suis pas trompé d'époque. Il ne neige pas encore mais ça ne devrait pas tarder. En effet, en quittant la caserne plus tôt ce matin, j'avais remarqué des nuages épais, montant haut dans le ciel ; indiquant certainement du mauvais temps pour les prochaines semaines.
J'essaie de me concentrer sur la rédaction de mon rapport d'unité, mais le bruit des volets mal attachés, tremblant sous la puissance de la bise me détourne peu à peu de mon travail. Je commence à taper le bout de mon stylo plume, fermement coincé entre mon indexe et mon majeur, contre le bois du bureau.― Putain Philip ! Tu bosses encore là-dessus ?
C'est mon colocataire. Celui dans la chambre qui se trouve juste en face de la mienne.
― Bas écoute, j'ai rien d'autre à faire après tout. T'as vu ce temps de merde ? Je sors pas moi, impossible. Dis-je en m'appuyant sur le dossier de ma chaise pour mieux le voir.
― T'as pas tort.
Lukas est arrivé à Munich il y a maintenant trois ans. Sa famille n'habitait pas loin de Berlin. Je n'en sais pas plus, il ne parle pas beaucoup de ce genre de chose. On avait le même âge, enfin j'étais né en avril et lui en juillet. Je le considère un peu comme mon frère, et je crois que lui aussi.
― J'ai reçu un ordre de convocation la semaine passée, je vais rejoindre les troupes d'élites dans deux mois si tout se passe bien.
― Putain de merde ! Sérieux ? je m'exclame en me levant, laissant tomber le stylo sur ma feuille.
― Ouais ! Je suis trop content, depuis le temps que j'attends que cette merde se pointe.
Je m'approche de lui et le prend dans mes bras.
― Putain, Lukas, officier des troupes d'élites !
― Futur officier !
Je lui lance trois tapes dans le dos en guise de félicitation. Il me sourit, et je fais de même.
Soudain, j'entends le bruit des cloches de l'église retentir au loin.
― Merde c'est déjà huit heures ? Je dois aller chez Nadia ! Je lui ai promis de passer avant de repartir pour le week-end.
Lukas pose sa main sur mon épaule et se dirige à la cuisine, laissant son bras retomber après être passé à côté de moi.
― Fonce Don Juan des bordels ! me lance-t-il après avoir disparu derrière le mur. Je l'entends prendre quelque chose dans le frigo.
― Tu me laisses la porte ouverte sal con ! je réplique.
Il réapparait une bière dans une main, l'autre dans sa poche et s'appuie contre le buffet. Il lève son bras munit de sa bouteille en ma direction avant de l'amener à sa bouche.
― Prost* ! Dit-il en me regardant partir, amusé.
Je me dépêche de sortir, poussant simplement la porte derrière moi en espérant qu'elle se ferme d'elle-même. J'enfile ma veste, la première que j'ai trouvé, ma veste de service, tout en descendant les escaliers. Une fois dehors j'enfouis ma tête dans mon col et mes mains dans mes poches. Je sens le froid de l'air me percuter le visage comme si un millier de petits couteaux me perceaient la peau. L'air qui sort de mes narines se transforme en une fine vapeur blanche, s'envolant avec lenteur dans l'immensité du ciel déjà gris. Le vent s'engouffre à travers mes vêtements et mes cheveux. Je suis gelé. Je marche aussi vite que possible, pour essayer de me réchauffer et d'arriver plus vite chez elle. Le bruit de mes pas résonne dans toute l'avenue ― déserte. Et ceux depuis près de trois ans.
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L'étoile ou la croix
RomanceMoi, Philip Hartmann, je suis tombé amoureux de la plus belle femme que je n'ai jamais connu. Moi, Nadia Zehava, je suis tombée amoureuse d'un monstre. Le Nazi et la Juive