CHAPITRE 9

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IX

Palais de la Résidence, Munich, juin 1934

Les bruits de pas se font entendre dans les rangs. Ils résonnent entre les corps, les murs et le sol, tel un long rythme de contre basses mal accordée. Personne ne bouge de sa place, seul le capitaine reste à l'écart du groupe, jusqu'au moment où les pas se font de plus en plus proche, au point que l'on arrive maintenant à les distinguer ― il y a plusieurs hommes qui marchent ― rapidement. Le son de leurs semelles et de leur botte à l'armature en fer produit cet écho si particulier aux militaires ― grave, métallique. Ils arrive enfin ― immobiles face à nous. Le capitaine nous fait signe de les saluer. À l'unisson, nous tapons le pied droit sur le carrelage, et levons le bras droit vers l'avant ― tendu, rigide et fort. C'est nouveau, avant nous faisions comme la plupart des soldats ― un garde à vous classique, sans fausses notes et efficaces. On remontait notre main droite à la tempe, et l'on relevait la tête, juste un peu ― juste ce qu'il fallait.

― Messieurs...je suis navré de vous avoir interrompus dans vos festivités.

― Mon Führer, voyons, rien ne nous dérange quand c'est vous qui le demandez ! S'empresse de lancer le capitaine. Le Führer sourit ― légèrement. Il nous dévisage, tous ― l'un après l'autre. Le silence règne, on devinerait presque sa respiration.
― Je suis ravis de voir en personne, les visages des hommes qui rendent le pays meilleur ! Déclare-t-il doucement.

Il est petit ― minuscule. Un gnome. Mon plus haut supérieur est un gnome : que demander de plus ? Sa petite moustache est ridicule. Je n'ai jamais aimé les moustaches de toute façon. Elle tressaute à chacun des mots qu'il prononce.

― Lieutenant Hartmann. C'est la première fois que je le vois, la première fois qu'il me parle, je ne peux m'empêcher d'être surpris.

― Oui, mon Führer. Je dis ces trois petits mots avec le plus de fermeté que possible. Je veux me retenir de rire ― ou mieux, de paraitre comme si je ne me retenais de rien.
― Votre capitaine ne dit que du bien de vous ! Il semblerait que vous ayez un certain don pour la commanderie !

Il hausse les sourcils, sourit, sans jamais me regarder dans les yeux ― il semble amusé de ma situation. Je dois pencher la tête pour le voir. Cette étrange sensation que de se sentir ainsi supérieur à son Chancelier m'est insupportable. Du haut de mes 1 m 90, je regarde un bon nombre de gens de haut ― pour ne pas dire tout le monde. J'ai envie, à ce moment même, de me faire tout petit. De me retrouver à son niveau.

― Vous m'intéressez jeune homme. Déclare-t-il en me regardant enfin. Je reste entièrement muet face à lui. Ça ne dure qu'une fraction de secondes ― mais je reste là des heures.

― Merci.

Il me foudroie du regard. Un regard dur, froid, impassible. Un regard dans lequel est concentré toute la colère d'un homme, toute sa vie ― je manque de tressaillir.

― C'est moi qui vous remercie.

Il marque une pause, effleure sa moustache avec son pouce droit, et remet presque immédiatement ses mains derrière le dos. Il agite frénétiquement le poignet ― ce qui a le don de me rendre nerveux.

― Vous savez messieurs, ce qui fait un homme, ce n'est pas l'importance des responsabilités qu'on lui confie, mais sa capacité à les respecter.

Il regarde le reste du groupe, en prenant bien soins de m'ignorer.

― Je vous annonce que le Lieutenant Hartmann est élevé au rang de capitaine. Je le mets en charge de tout la compagnie Munichoise jusqu'à nouvelle ordre.

Je ressens comme un coup de poignard dans la poitrine. Dont les lames, imprégnée de je ne sais quel poison, laisseraient se rependre dans tout mon corps une euphorie incontrôlable. Je souris. Mes camardes ― ou plutôt devrais-je dire, mes hommes ― n'osent pas se retourner pour me regarder. J'essaie de deviner ce qui s'affiche maintenant sur leurs visages, à l'annonce de ma montée en grade. Je m'incline légèrement pour me détacher du rang et rajoute fièrement :

― Merci mon Führer.

J'aurais aimé que Lukas soit là pour voir ça. Il aurait été furieux.

― Une centaine d'hommes ?

― Ouais.

― Bas merde tu te fais pas chier, toi. C'est tout ou rien !

Je le regarde éplucher les pommes de terre, avec une certaine maladresse.

― Tu veux que je le fasse ? Je demande en faisant un signe de tête en direction du sac.

― Non, non je vais le faire. Insiste-t-il, sans quitter des yeux ce qu'il a dans les mains. Il la fait tourner, la lame du couteau coupe la peau sans flancher, s'enfile contre la chair et glisse vers le haut, pour ne laisser retomber qu'un lambeau qui s'empile ensuite sur les autres.

Je le regarde faire en silence. Mes genoux et mes hanches me font mal depuis quelques jours maintenant, et la position dans laquelle j'ai décidé, peut-être trop audacieusement, de me mettre il y a quelques minutes m'arrache quelques plaintes du fond de la gorge.

― J'vais chercher de quoi faire le reste. Je souffle en me tenant fermement à la barre métallique derrière moi, pour me lever, sans pour autant paraître trop mal en point.

Le grésillement de la radio et le sifflement du vent se mêle en un bourdonnement acerbe. Je me dirige vers la chambre froide ― essayant de me rappeler les couloirs à emprunter pour atteindre la réserve. En ouvrant la porte ; c'est la fraîcheur d'un petit paradis arctique qui m'enveloppe ― plutôt agréable pour compenser la chaleur encore humide de la fin du mois de juin. Je m'approche pour faire entrer en contact mon abdomen avec l'atmosphère gelée. Je laisse le froid me pénétrer, me soulever, m'irradier du ventre au extrémités ; mes muscles progressivement tétanisés, j'aimerais rester là, m'abandonner, lentement recouvert de neige artificielle.

― Philip ? Tu fous quoi ? Ferme la porte ça va plus se fermer à cause du givre après ! m'ordonne Johan ; j'ai reconnu sa voie derrière mon épaule. Je me recule vivement.

― Tu parles pas comme ça à un Capitaine Lieutenant ! J'ai riposté en rigolant ― ça beau être une de mes hommes maintenant, je ne pourrais pas traiter Johan autrement que comme un camarade.

― T'a mis le bleu en corvée d'épluchage ? C'est vu et revu ! T'aurais pu trouver mieux !

Je me pince l'intérieur de la joue. Le froid n'a fait qu'empirer mes douleurs dans mes articulations.

― Tu peux aller lui dire de partir ? Je vais apporter l'eau au wagon. Je demande ; pour être tranquille.

Il me toise de haut en bas, en se retournant dans la direction opposée. J'entends le bruit de ses bottes sur le carrelage blanc et brillant ― je reste sans bouger devant la porte, en attendant de pouvoir à nouveau marcher.

Soulever les paques d'eau fut un calvaire ― il ne fallait surtout pas que qui que ce soit remarque mon gène. J'ai tant bien que mal déplacés les bouteilles dehors en sentant, à chacun de mes pas, l'étirement et l'étouffement pénible dans mes jambes. Ce n'est pas à un Capitaine d'effectuer ce genre tâche ; mais je l'ai toujours fait, est je veux me sentir capable de continuer.

― Parfait ! Ça s'envoie à la Caserne ce soir. M'annonce le responsable des transports.

― Je dois signer quelque chose ?

― Non Capitaine, c'est au Lieutenant de le faire ! répond-t-il, amusé.

― Bien-sûre, c'est vrai.

Je repars vers mon bureau ― mon nouveau bureau. J'ai l'impression que tout le monde le voit, que tout le monde le sait ; mes jambes me font souffrir.

Une fois assis dans ma chaise j'essaie désespérément de laisser se détendre mes muscles ― bordel, mais qu'est-ce que j'ai. Je ne rentrerais pas à la maison ce soir : impossible.

Je reçois un coup de téléphone vers 18h qui m'oblige de me rendre au bâtiment C. C'est à plus de quinze minutes de marches ; mais je n'ai pas le choix. Je me lève avec calme, agrippé au bord de la table, les bras raidis. Je remplis mes poumons d'air, faisant abstraction du bas de mon corps pour ne me focaliser que sur le chemin à faire. J'irais voir le médecin demain ― je déteste ça, mais j'irais quand même.

*"Le guide" en allemand, titre attribuée à A. Hitler

Excusez-moi pour le temps qui s'écoule entre chaque chapitre, j'essaie vraiment de consacrer le plus possible mon temps-libre à l'écriture ! J'espère pourvoir écrire les prochains chapitres plus rapidement, xoxo.

L'étoile ou la croixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant