CHAPITRE 8

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VIII

Munich, juin 1934

― Tu veux que je l'attache ? me demande-t-il en épinglant soigneusement son insigne sur le côté gauche de sa veste.

― Non, c'est bon. Je réponds en souriant, laissant doucement glisser la chaîne entre ma main, pour qu'elle retombe dans son étui. Il ne va pas avec ma robe de toute façon ! je rajoute en fermant délicatement le couvercle. La boîte est un peu déformée, à cause du transport j'imagine, et il faut forcer un peu pour qu'elle se referme correctement. Avec le temps j'ai fini par m'y habituer et, au moindre récipient que je devais occulter, je ne pouvais m'empêcher d'être perturbée quand ce petit « clic » si particulier ne résonnait pas.

― Ça va ? Je l'ai pas mis trop haut ? dit-il, les yeux rivés sur sa cravate.

Je le regarde et je souris. Il doit le prendre comme une confirmation silencieuse, car il me sourit en retour, avant de s'assoir sur une chaise tout près de lui. Une fois installé, il appuie ses avant-bras sur les accoudoirs, le corps penché en arrière, les jambes écartées. Il penche la tête, qu'il cale contre sa main droite. Il soupire en tapant nerveusement du pied sur le carrelage.

― J'ai pas envie d'y aller. Déclare-t-il en relevant le regard, la main toujours collée à son menton.

Je reste silencieuse quelques secondes avant de répondre.

― C'est important, non seulement pour toi, mais aussi pour ton commandant...

― Capitaine. C'est mon capitaine. Me coupe-t-il. Je suis lieutenant et il est mon capitaine. Rajoute-t-il, avec la manière d'un professeur, qui expliquerait un exercice pour la dixième fois à son élève. Il se pince ensuite les lèvres comme pour m'inciter à continuer.

― Oui, donc... Je ne trouve plus mes mots. Ce que je veux dire c'est que, en allant là-bas, tu seras la fierté de ton capitaine. Si tu veux pouvoir gravir les échelons, tu dois aussi savoir créer des liens.

Il me regarde, puis détourne les yeux pour fixer un point en face de lui.

― Bon, dépêche-toi ! On va être en retard si ça continue ! déclare-t-il en se levant. Sous son poids, la chaise vacille, et émet un horrible et strident grincement sur le sol. Il frôle mon épaule avec la sienne, et s'engage dans le couloir, probablement pour rejoindre la porte. Comme entraînée par son hélant, je le suis en attrapant, au dernier moment, ma petite pochette en cuire, posée sur le buffet.

La salle n'est pas très grande, mais elle est pleine. Pleine de militaires, pleine d'homme en costume, je constate avec désarrois qu'il y a très peu de femme. Je me sens seule et surtout observée. Je prends soin de réfléchir et d'effectuer chacun de mes mouvements consciencieusement. Je prends mon verre, à moitié vide, et je l'amène à mes lèvres.

― Nadia ! C'est vous qui venez de Pologne n'est-ce pas ?

Je manque de faire tomber ce que j'ai dans la main. J'essuie rapidement la goutte de vin qui perle sur mon menton et je me tourne vers mon interlocuteur qui repose sa question.

― Vous venez bien de Pologne ?

Ce mot raisonne dans ma tête une fraction de seconde. Mon cerveau établit tous les situations possibles, durant lesquels le contexte aurait permis une quelconque introduction de ce pays, dans lequel je n'ai encore jamais mis les pieds.

― Oui, enfin mes grands-parents, je crois, venaient de là-bas.

Je serre mon verre de toutes mes forces pour l'empêcher de trembler.

― Je ne saurais à peine la situer sur une carte ! je rajoute en rigolant, nerveuse. En constatant que les personnes en face de moi se mettent à rire, je ne fais que suivre leur engouement.

Plus le temps passe, et plus je me sens à l'aise. Je me découvre presque un talent pour la discussion stratégique militaire. Ils ne savent parler que de ça de toute façon. Le dernier débat à cette table, portait sur les nouvelles décisions prise par le gouvernement, en ce qui concerne les terres de Pologne. Je n'ai pas tout écouté ni tout compris et je les laisse maintenant parler entre hommes. J'enroule mes mains autour de mon verre, les coudes appuyés contre mes côtes. Je regarde ce qui se passe autour de moi, silencieuse. Les gens discutent, avec ferveur et engouement. Certains se lèvent de leur chaise en jurant, d'autres boivent, mangent, rient aux éclats, remplissent leur verre, se réserve de la viande ; je n'avais jamais vu une tel ambiance. Depuis des années je vis presque dans le noir, enfermée chez moi. Tout ça ; c'est nouveau pour moi. Je sais bien que l'armée est bien plus riche que tout le reste de la population. Mais ici, ce soir, c'est comme s'il n'y avait jamais eu de guerre. Tout est beau, tout brille. Je ne sais pas où regarder ; les serveurs qui courent avec leurs plateaux, qui vacillent, les verres posés dessus qui tremblent, les lustres qui illuminent de leur lumière dorées les quatre murs de cette petite salle.

― Tout vas bien Nadia ?

Je me retourne à l'appel de mon prénom. C'est Philip. Il est penché sur le côté, par-dessus mon épaule.

― Tout va très bien. Je murmure.

― Tu as entendu la nouvelle ? dit-il, la voix presque tremblante d'excitation.

― Non ? Qu'y a-t-il ?

― Le Führer doit venir un peu plus tard dans la soirée. Déclare-t-il en déposant sa main sur ma cuisse.

― Mais tu ne l'aimes pas, je me trompe ?

― Quoi ? Non, non, ce n'est pas ce que j'ai dit. Articule-t-il en regardant autour de lui. C'est un homme important ! S'il vient ici ce soir, ce serait juste...incroyable ! La lumière dans ses yeux fait penser à celui d'un enfant qui viendrait d'ouvrir ses cadeaux de Noël, et d'y trouver exactement ce dont il avait envie.

― Alors Philip ! Vous ne nous avez pas réellement présenté, racontez-moi ! Déclare une voix à l'autre bout de la table. Il retire aussi tôt sa main de ma cuisse, repasse l'autre dans ses cheveux rigides de cire et affiche sont plus beau sourire.

― Oui ! Vous avez raison ! acquiesce-t-il. Capitaine Waltz, je vous présente ma compagne, Nadia.

Je m'empresse de chercher le capitaine des yeux. Avant de rajouter :

― Enchantée ! accompagné d'un mouvement de tête.

― Je tiens à vous dire, mademoiselle, que vous être ravissante ! Le lieutenant Hartmann a beaucoup de chance !

Je ne peux m'empêcher de rougir à ce commentaire. Philip à l'air encore plus nerveux et gêné que moi.

― Philip, vous savez que le Führer devrait passer ici ce soir, il veut parler aux hauts dirigeant de la Wehrmacht*, cela vous dérangerait de m'accompagner ? Vous êtes en charge du secteur Munichois, il s'agit d'un point important de la Bavière**.

― Oui, bien-sûre ! Aucun problème, aucun. Assure Philip, en repliant le col de sa chemise.

― Je vous attend à onze heure, à la table du colonel. Les généraux devraient être là également.

Philip se retourne vers moi et me dit doucement :

― Je ferai venir un taxi dans quelques minutes. On se retrouve à la maison demain matin, d'accord ?

*La Wehrmacht et l'armée régulière allemande : à ne pas confondre avec les troupes Nazis.

**Région allemande, la plus grande du pays, se situe au sud-est.

Je sais que les chapitres ne s'enchaîne pas aussi vite que je l'aurais et je m'en excuse. Les cours me prennent beaucoup de temps, et je n'en ai plus pour écrire. Je vais essayer de garder un rythme le plus régulier possible. En attendant...Bonne lecture ! 😊

L'étoile ou la croixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant