L'Héritier - Chapitre 7

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Quittons un instant le veux moulin et nos deux héros. Ne vous inquiétez pas, vous allez les retrouver bientôt.

Laissez-moi juste quelques minutes durant lesquelles je vais moi aussi vous raconter une histoire. L'histoire de la mère d'Arthur, que lui même ne peut pas connaître. 

Mh? Qui suis-je?  Oh, quelle importance, vous le découvrirez bien assez tôt...

✴︎✴︎✴︎

Il était une fois, une jeune fille pleine de vie venant de la campagne, répondant au nom de Gabrielle. Elle était appréciée par tout le village pour sa sympathie et ses charmes. Il faut dire qu'elle avait tout pour plaire: des cheveux bruns qui atteignaient presque le bas de son dos, des yeux noisettes pétillants de bonheur et un sourire enjôleur, mais toujours franc. Elle allait sur ses seize ans, mais on lui en aurait donné à peine quatorze. Elle était très pauvre, mais heureuse. Et surtout amoureuse, éperdument amoureuse. 

Il se nommait Conrad, simple fils de paysan. Il avait six ans de plus qu'elle et passait sa journée aux champs, travaillant comme une forcené. L'hiver avait été rude cette année-là et une vague de disette se propageait dans l'ensemble du royaume. La nourriture venait cruellement à manquer car les récoltes étaient très mauvaises et les réserves s'amenuisaient de plus en plus. Pour les petits paysans qui ne possédaient pas beaucoup de terres, les temps étaient durs. La mort rôdait, et personne n'était à l'abri. Une ère bien sombre. Mais il fallait continuer à vivre, à survivre; trouver une raison pour se battre, jours après jours. 

Pour ces deux jeunes gens, la raison était bien simple: l'amour. Rien n'importait plus que le lien indéfectible qu'il y avait entre eux. Ce lien qui les soutenait, les rendait heureux, ce lien qui ne constituait rien de moins qu'une lumière scintillant dans les ténèbres, éclairant leur chemin. Vous pouvez vous moquer de ce romantisme exagéré, mais je crois bien qu'on eût jamais vu amour plus pur et plus sincère, un amour sans artifices.

Si Conrad travaillait la journée, toutes les nuits, sans exception, il allait retrouver sa belle devant une vieille grange abandonnée, au clair de lune. Toutes les nuits, ils s'asseyaient sur la même botte de foin, main de la main. Toutes les nuits, ils restaient là, à se parler, à se chamailler gentiment, en appréciant ces moments de grâce que la vie si impitoyable leur offrait. Puis, le sommeil les gagnant, ils se blottissaient l'un contre l'autre en rêvant à un avenir commun. Ils restaient ainsi enlacés jusqu'aux premières lueurs de l'aube, et le lendemain se quittaient ravis, prêts à affronter une nouvelle journée. 

Mais voilà, un si bel amour en ces périodes de disgrâce est bien fragile, et on devint vite dans l'obligation de marier la jeune fille. Seize ans, c'était déjà tard en ce temps là, mais on ne lui avait point trouvé de prétendant.

Un beau jour du mois de mai, ses parents lui annoncèrent une nouvelle fort déplaisante. Un jeune homme, envoûté par ses charmes, désirait sa main. Ils avaient, dans l'espoir d'un avenir meilleur pour leur fille unique, joyeusement accepté la demande inopinée. Ils ne s'attendaient certainement pas à voir Gabrielle fondre en larmes devant eux. Elle eut beau pleurer, crier, protester, leur expliquer la situation des centaines de fois, rien n'y fit; le pacte était déjà signé. A cette époque, les sentiments étaient bien insignifiants, le mariage était avant tout un accord financier entre deux clans, négocié par les chefs de lignage. Les futurs conjoints n'avaient pas leur mot à dire. Ses parents tentèrent donc de la convaincre, lui ventant les mérites de son fiancé et mettant en avant le fait qu'elle allait obtenir des droits sur de nouvelles terres, ce qui serait très profitable. Mais elle refusait d'écouter. Certes Conrad vivait depuis toujours dans la misère et n'avait rien à lui offrir, mais elle l'aimait et ne demandait rien d'autres que de pouvoir passer le reste de sa vie avec cet homme qu'elle chérissait tant. Mais c'était bien trop demander. Ses parents, dépassés par la situation, prirent la décision de lui interdire de revoir Conrad jusqu'au jour du mariage. 

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