« Tristan... Tu veux bien écouter une histoire? Mon histoire? Je ne l'ai jamais racontée à personne,mais j'ai envie que toi tu la connaisses.
- Bien sûr, répondé-je un peu gêné par son air soudain très sérieux. Tu peux avoir confiance en moi, même si nous ne sommes pas vraiment parti sur de bonnes bases.
- Je sais, je me sens... Curieusement apaisé près de toi. Je crois que j'ai besoin de t'en parler. Ne m'interromps pas par contre, je ne pourrais jamais aller jusqu'au bout sinon. »
Je hoche la tête, encore une fois, et Arthur commence son récit:
« J'ai été élevé par mon père durant la plus grande partie de ma vie car ma mère est morte peu après ma naissance. Dès que j'ai atteint l'âge de pouvoir marcher, il m'a fait travailler dans son échoppe. Il n'était pas tendre avec moi, on peut même dire qu'il me détestait. Quand... Quand quelque chose ne lui plaisait pas... Il me frappait de toutes ses forces jusqu'à ce que j'implore son pardon ou que je m'évanouisse. Je pense qu'il me battait aussi pour le plaisir. Il ne faisait que de me répéter que je n'étais qu'un bon à rien dégoûtant qui ne méritait que de crever, bouffé par les chiens. S'il avait pu me tuer de ses propres mains, je ne doute pas qu'il serait passé à l'acte. Je ne sais pas pourquoi il nourrissait autant de haine envers moi, peut-être parce que c'est ma faute si ma mère est morte. Quoiqu'il en soit, j'accomplissais tous les travaux difficiles dont il ne voulait pas se charger. Je cuisinais, je nettoyais la maison, je lavais les habits, je portais des lourdes charges, j'allais faire les courses, je nourrissais les porcs... Enfin, toutes les activités qu'il qualifiait d'humiliantes. Il est même arrivé qu'il me... »
Il déglutit et ferme un instant les yeux, comme s'il était au bord des larmes. Je suis déjà choqué par ce qu'il vient de me raconter, mais la vérité qu'il s'apprête à me révéler semble bien pire encore. C'est ce qui me fait peur. J'ouvre la bouche pour tenter d'alléger sa peine, mais il m'intime le silence et continue son histoire, devant mes yeux écarquillés d'horreur.
« Qu'il... Qu'il me vende. Il a commencé lorsque j'avais neuf ans. Il n'avait plus assez d'argent pour subvenir à nos... enfin à ses besoins. Alors il me laissait à des inconnus pendant une nuit, une journée, une semaine. Ces affaires lui rapportaient gros. »
Arthur commence à trembler et je suis tellement horrifié que je ne peux ni esquisser le moindre mouvement, ni prononcer le moindre mot. Qui peut faire subir cela à un enfant? Ou même à n'importe qui? Je n'ose même pas imaginer l'enfer qu'il a dû vivre. Il renifle.
« Ce n'était pas toujours pour... pour des faveurs sexuelles, c'était même rarement le cas en fait. On me demandait tous types de services... Mais je ne vais pas continuer à m'étaler sur ce sujet, je préférerais ne pas revivre ces moments et tenter de les oublier définitivement. A cette époque là, je me sentais plus pitoyable que jamais. Je ne voyais en la vie qu'une continuité de malheurs et de souffrances. On m'avait tout pris. Mon enfance, ma mère, mon innocence et ma joie de vivre. Tout m'avait été ravis. Je n'avais plus rien. Je n'étais plus rien. Je n'étais plus un enfant, je n'étais même plus un être humain. J'étais juste une loque avec des ecchymoses sur le corps et des cicatrices profondes, visibles et invisibles. La seule chose qui me permettait vivre, c'était ma rage. »
Il sert ses poings sur les genoux, au point que ses phalanges en blanchissent.
« Oui, ma rage contre mon père, contre les gens, contre le monde entier. Je voulais leur prouver que l'avorton que j'étais pouvait aussi mener sa vie comme il l'entendait. Que je n'étais pas faible comme ils semblaient tous le croire. Que je pouvais me battre. Alors je m'accrochais, appréhendant chaque jour et son lendemain. Mais j'avais aussi de l'espoir. Une voix dans mon coeur qui me promettait que tout allait s'arranger. Parce que tout s'arrangeait forcément à un moment ou à un autre. »
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L'Héritier
Genç KurguDans une contrée lointaine et dans un temps lointain, vivait un peuple étrange aux traditions toutes aussi particulières. Chaque nouveau siècle, une jeune fille naissait au sein de la famille royale. Celle-ci était appelée l'Héritière et était préde...