CHAPITRE 9

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Rose

La Mort.

La Mort est un nom qui aurait vraiment sa place parmi les émotions. Comme entre autres, la mort intérieure de soi-même ; quand on se perd tellement qu'on se laisse mourir et pourrir petit à petit de l'intérieur jusqu'à ce qu'un beau jour, on ne ressente plus rien. Jusqu'à ce qu'un beau jour, cette douleur qui nous paraissait jusque là insurmontable diminue. Juste un peu. Infiniment peu. Et c'est à ce moment là, que l'on prend conscience des choses, du temps qui est passé, des souvenirs qui remontent avec la nostalgie et non plus de la douleur et de la tristesse. Ce jour-là, on renaît. Ce jour-là, nous lever le matin parait surmontable et plus les jours se succèdent mieux on arrive à sortir les pieds du lit. Parfois ce n'est pas un jour, mais une personne qui fait que l'on va avoir envie de se relever, d'avancer. Pour moi, cette personne est Darwin.

La Mort est vicieuse et sait se déguiser pour s'insinuer là où on ne l'attend jamais. Les maladies soudaines en sont le premier exemple : du jour au lendemain, la personne touchée se retrouve six pieds sous Terre avec pour seule compagnies les insectes de la Mort.

Certains prennent la Mort comme une bénédiction, un moyen de soulager leur conscience, d'autres une punition, ou encore -et c'est certainement le pire déguisement de la Mort- certains sont frappés par la Mort lorsqu'ils sont heureux, lorsqu'ils sont insouciants, trop heureux pour se douter une seule seconde que quelque chose les attend au coin de la rue ; un camion, une voiture, un bus, n'importe quoi.

C'est ce qu'il s'est passé le soir de mon anniversaire, le 13 novembre 2015 alors que mes amis m'avaient offert une place de concert pour que je les accompagne au concert d'un groupe que j'affectionnais particulièrement.

J'étais juste là, parmi les 1500 places de la salle du Bataclan. J'étais juste là, quand les terroristes sont entrés dans la salle ouvrant le feu sur des centaines de personnes. J'étais juste là, quand les gens ont compris ce qu'il se passait et qu'ils ont essayé de fuir. J'étais juste là, quand j'ai vu des corps exploser sous le coup des balles. J'étais juste là, quand mes amis se sont effondré un par un, rejoignant les cadavres et les restes des personnes mortes. J'étais juste là, quand pendant une éternité durant, les terroristes ont vidé leurs chargeurs de balles sur nous. J'étais juste là, sous les cadavres de mes amis et d'inconnus dans la fosse du Bataclan.

Je n'ai pas eu le courage de certaines personnes pour courir, prendre la fuite. Non, je me suis cachée comme une lâche sous les corps des personnes mortes qui m'entouraient, j'ai fermé mon esprit et mes oreilles pour ne plus entendre leurs hurlements. Les hurlements des personnes mortes, des blessés, des victimes, mes hurlements.

Et j'ai attendu. Infiniment. Des heures durant. Des jours durant. Des semaines durant. Des mois durant.

J'ai attendu que cela passe, que les hurlements cessent, mais ils ne cessent pas. Jamais. Il faut apprendre à vivre avec ou se laisser mourir avec eux.

Au début, c'est ce que j'ai fait parce que j'étais coupable. Coupable de m'en être sortie et pas les autres. Coupable de m'être cachée comme une lâche sous les corps alors que j'aurais peut-être pu aider. J'aurais pu aider ceux qui étaient blessés, ceux qui faisaient des crises d'angoisses, ceux qui, comme moi, pensaient mourir cette nuit-là.

Et puis j'ai réalisé que NON, je n'avais pas à être coupable car des gens étaient morts et que si je voulais faire quelque chose, ce n'était pas trop tard. Ils ne seront pas morts pour rien, je vivrai pour eux, pour tous ceux qui ont vu leur mort couper leurs projets, leur vie, leur famille. Je vivrai mille fois pour eux.

La Thérapie du BonheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant