Journal de Mar : 10 septembre

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Peux pas dormir . Je pense à Sol et à Robin . Je les imagine en train de se dévorer sous les cocotiers . Ça fait déjà 6 mois qui sortent ensemble , et elle a l'air encore amoureuse , Sol . Très amoureuse . Et puis je me repasse le film de la GSE et il y a un truc qui bloque . La GSE , ou Grande Soirée de l'Été : c'est comme ça qu'on a baptisé l'apéritif chic qu'organisent tous les 15 juillet les voisins de la maison congénitale .
La home sweet home des voisins , c'est un genre de manoir privée , avec accès à la plage privée, piscine privée, allée privée et blagues privées . Ils ne se mélangent pas, sauf le jour de la GSE . Mais ils se mélangent prudemment : ils n'invitent que les voisins proprio en bord de mer, leurs relations de club de voile ou de golf , ou les deux .
Il y a aussi une crapotée de cousins qu'on n'aime pas trop , et leur soirée , on aime surtout la critiquer sans y aller .
Sauf que cette année, un gars du manoir ( Cléandre, pour les intimes ) nous a branchées sur la plage , en nous expliquant que les ados de la famille avaient fait une révolution , et qu'ils allaient organiser une teuf après la réception , une fois qu'ils auraient guillotiné les parents . Et que ce serait sympa si on venait , vu que les parents nous connaissaient et nous aimaient bien ( ils n'avaient pas dû visionner les nouveaux piercings de Sol ! ) .
On est restées quelques secondes à calculer ce type avec sa planche de surf sous l'aisselle qui clignait des yeux en nous expliquant qu'il nous invitait parce qu'on avait une super tronche d'alibi . Sand a répondu qu'on aurait préféré être invitées parce qu'on est sympa et marrantes , ce pourquoi on nous invite en général . Et que d'ailleurs on pourrait pas venir , parce qu'il était justement invitées ce soir là à une fête sans parents ,avec des gens sympas , cools et marrants .
Ce qui était une grosse menterie , vu que , à part Sol qui passe sa vie à aller dans des fêtes en Martinique , ni Sand ni moi , on n'est jamais allées à des vraies fêtes sans parents . Bref .
Finalement , on a décidé qu'on irait . Mais tard , histoire de bien montrer qu'on venait juste en tant qu'observatrice .
Et en civil, jean - sandales , surtout pas en red carpet , femmes fatales , que chacun sache qu'on n'avait aucunement l'intention de faire des efforts pour se mixer avec qui que ce soit , d'aucune façon que ce soit . Ça c'est ce qu'on avait décidé . Effectivement on est arrivées en tard , mais pas exactement en tenue de plage . Sur le coup de 21h , quand on commençait à se dire qu'il était temps d'y aller , Sol est entrée en transe . Elle a dit qu'on ne pouvait pas aller à une fête comme ça . Ce serait peut être la seule de l'été , peut être l'unique occasion de gloutonnerie des petits fours , de danser ,de s'éclater . Il fallait qu'on se prépare un peu , quand même , parce que la , on ressemblait à des chewing-gums d'occase ...
Trois heures après , y avait plus un centimètre de libre dans la chambre des cousines , plus un tee-shirt plié , plus un vernis à ongles hermétique , mais y avait Trois sublimes créatures debout sur le lit qui se déhanchaient et qui hurlaient de rire , sans doute droguées par l'atroce cafouillage de parfum-poudre-dissolvant-déo-vernis.
On a débarqué à la GSE , Sol dans une minirobe rouge , Sand en slim clouté et moi en short vert amande .
En voyant Sol passer d'une pièce à l'autre en souriant et en ballotant la main , comme si elle avait fait ça toute sa vie , Sand et moi on a constaté une fois de plus qu'on avait beaucoup de choses à apprendre . On s'est traînées vers le buffet et les dernières chips qui crapotaient dans une assiette en plastique . C'était la série des slows et on a aperçu une minirobe rouge collée contre un bermuda à carreaux qui de loin avait l'air très ringard , aussi ringard au moins que la musique . « Comment peut on danser sur Hôtel California ? » , a dit Sand avec la grimace de dégoût qu'elle réserve aux salades et aux navets musicaux . Elle avait à peine fini de parler que j'ai capté un truc qui m'a scotchée : Sol , la bouche ouverte , en train d'agiter sa langue dans la bouche du bermuda à carreaux . J'ai mis quelques secondes à réaliser que Sol était bien en train d'embrasser un garçon , et j'allais avertir Sand qui tournait le dos , quand un des cousins m'a demander si je voulait danser . Un grand mec tellement maigre que , quand il se baissait pour lacer ses chaussures , il devait faire le bruit d'un gâteau apéritif qu'on croustille .... J'aurais bien dit oui , histoire d'avoir l'air d'être là , mais j'ai capté le regard de Sand , et je me suis dit que , si je l'abandonnais toute seule avec les miettes de chips et Hôtel California , j'allait le regretter . La série des slows était terminée , et Sol est revenue vers nous avec un grand sourire .
On n'a jamais parlé de ce baiser , elle et moi , et on a plus jamais croisé le bermuda à carreaux . Sol ne sait même pas que je l'ai vue. Et je suis sûre que si j'avais dit : «Mais comment tu peux faire ça , alors que tu sors avec Robin ? » , elle aurait fait des yeux comme des soucoupes , du genre :«Mais de quoi tu m'causes ?»
Je n'ai jamais embrassé un garçon sur la bouche . Sand non plus . Mais Sol , elle dit qu'elle ne compte plus les fois où elle l'a fait , que c'est idiot de compter , que les baisers sur la bouche , ça compte pour rien . Que ça ne lui fait plus aucun effet , pas plus qu'une bise . Ça non plus , je ne le comprend pas .

Trois (ou quatre) amies Où les histoires vivent. Découvrez maintenant