Ephémères

3.2 Oze : Rivage

L'eau s'engouffrait dans ses poumons avec la force d'un torrent colérique. La barque n'était plus que brindilles déchiquetées par les rochers sur lesquels l'embarcation était projetée. Oze lutta tant qu'elle put. Plus d'une fois l'océan l'attira vers le fond, mais elle fit de grands mouvements de bras et de jambes pour se hisser vers le ciel. Chaque bouffée d'air frais était un sursis supplémentaire. Jamais Oze ne s'était sentie aussi vivante qu'en ces instants en présence de la mort.

Puis l'eau prit le dessus, elle submergea l'adolescente et l'emmena vers les profondeurs. Impuissante, Oze vit la lumière s'éloigner peu à peu et sa vie la quitter. Elle ferma les yeux une dernière fois et expira le semblant d'air qu'il lui restait. Oze attendit la faucheuse, perdue dans l'immensité de cette masse sombre qu'était l'océan.

Mais elle ne vint pas, la jeune femme restait entre les courants, ballotée de toutes parts, ses cheveux s'emmêlant avec les algues marines portées par les vagues. Oze n'avait plus d'air depuis longtemps, elle aurait dû mourir, mais elle demeurait bien vivante. Le temps s'échappa, Oze le regarda s'enfuir à travers les poissons balancés par les flots. Elle ne sut quand mais elle reprit ses esprits et commença à nager. Elle était épuisée mais parvint à regagner la surface. La première bouffée fut libératrice, chaque molécule d'air fut une délivrance. La houle se maintenait cependant, et la fatigue se faisait sentir au sein de chaque fibre musculaire. Oze coula à nouveau. La panique revint et la poussée d'adrénaline éveilla son cerveau. Elle était sous l'eau, vivante, encore.

— Oze, l'appela une voix douce.

En plein milieu il n'y avait personne, Oze hallucinait, il n'y avait pas d'autre explication. Pourtant elle se retourna, par pur réflexe.

— Oze, répéta la voix. Nage.

Elle obéit et commença à onduler dans un courant plus clément, elle avança sous l'eau et tenta par tous les moyens d'oublier qu'elle était privée d'oxygène depuis bien trop longtemps et qu'elle était probablement déjà morte.

La mer se calma alors qu'elle rejoignait enfin le rivage, à bout de forces. Oze termina son trajet à quatre pattes et s'affaissa sur le sable trempé par la tempête. Ce furent des pêcheurs qui la trouvèrent inconsciente sur le rivage. Ils la ramenèrent jusqu'à la ville et la déposèrent au dispensaire où elle reçut des premiers soins.

Lorsqu'elle s'éveilla sa première pensée fut pour son cou. Elle y porta une main et se massa du bout des doigts. Elle ne sentit rien d'anormal mais elle ne put s'empêcher de vérifier trois fois. Un miroir, il lui fallait un miroir. Oze se leva, non sans mal, et déambula jusqu'au mur opposé à son lit. Là, au-dessus d'une petite bassine de bois, était accroché l'objet tant convoité. Avec une appréhension qu'elle ne saurait décrire Oze consulta son reflet du regard. Mis à part quelques ecchymoses elle ne constata rien d'inhabituel.

— Ce n'est pas possible, murmura-t-elle soudain prise d'un rire nerveux. A quoi t'attendais-tu Oze ? A des branchies ?

Oh il existait bien des êtres à forme humaine avec des branchies, mais ils vivaient bien plus au nord et jamais cas de transformation spontanée n'avait été recensé dans les parages.

— La vie est pleine de surprises n'est-ce pas ?

Oze sursauta et se retourna brusquement. Elle se tenait là, toute auréolée d'une légère lumière dorée. Une femme d'un certain âge, vêtue d'une longue tenue couleur bronze qui rehaussait sa chevelure blonde. Elle transpirait la bonté par tous les pores de sa peau.

— Qui êtes-vous ? Et que m'avez-vous fait ?

— Je me nomme Eve. Et je t'ai fait un cadeau, uses-en comme bon te semblera.

Eve lui sourit à nouveau puis s'écarta d'Oze et prit la direction de la sortie.

— Ta vie a pris un tournant Oze, à toi de choisir la direction que tu vas prendre, l'océan est dangereux mais plein de promesses, cette terre est sûre mais la vie y est plus tranquille, quoique.

— Comment connaissez-vous mon nom ?

Mais Eve ne semblait pas d'humeur plus bavarde, elle se contenta d'un léger signe de tête et quitta la pièce.

-- La suivre ou bien rester prudente pour le moment ? --