-- Pas n'importe quel arbre? répétai-je éberluée.
-- C'est l'arbre qui retrace notre histoire, ma chérie, celui des réponses, des révélations... précise-t-elle avec mystère.Elle effleura avec une douceur exagérée, le tronc du chêne. Helen tournait autour de l'arbre en mesurant consciencieusement ses pas, tandis que je pus apercevoir des larmes perler lentement sur ses joues roses et rebondies. Mais en prenant sur elle, elle continua son explication la voix tremblante:
-- C'est ici que tout a commencé... D'après moi, seules les sorcières de Salem connaissent cet endroit. Il doit rester secret... Si quelqu'un apprenait l'existence de notre... Espèce... Je n'ose même pas imaginer ce que cela engendrerait... Des guerres, l'extermination de notre race, peut être même un génocide. Beaucoup de nos ancêtres ont été brûlées vives lorsqu'elles ont été démasquées, le peuple considérait les sorcières de feu comme une menace, quant à nous, sorcières de glaces, nous avons été pendant très longtemps intégrées dans la société, mais cette famille de chasseurs, a révélé à la population tout ce dont nous étions capables, toutes les pratiques néfastes que nous pourrions exercer. Techniquement, nous sommes en mesure de pratiquer la magie noire, mais nos valeurs nous l'interdisent. Quand les humains ont appris ceci, ils ont pris peur. Le peuple s'est senti menacé, en danger. Nos aïeux ont lutté pour leur propre survie. Ils se sont infiltrées dans différentes populations, familles et cultures afin de vivre cachées de tous. C'est pourquoi, il est important de garder notre existence secrète pour notre sécurité et notre bien-être.
-- Connaissons-nous le nom de cette famille qui ne cesse de nous traquer depuis des siècles?
- Hélas, non, nous l'ignorons. Elle a maintes et maintes fois changé d'identité afinde garder l'anonymat pour mieux nous tromper, de nous observer et de nous prendre par surprise. La dernière fois que nous l'avons affrontée, elle avait réussi à gagner notre confiance, nous pensions que ces gens étaient bons, pacifiques... Mais nous nous trompions...
-- Pourtant, ils doivent bien être quelque part, on doit pouvoir les reconnaître, ne me dis pas qu'ils changent de visages comme ils changent d'identité... C'est impossible!Rester dans un tel flou avait le don de me frustrer. Je ne pouvais supporter l'idée de savoir mes chers parents tués par des êtres malveillants dont nous étions si proches et que nous avons perdu de vue.
-- Non bien-sûr, mais je crois que nous n'avons jamais vu leurs visages, en tout cas leur vrai visage, ils ne se montraient jamais, la plupart du temps ils agissaient masqués ou avec l'aide de complices, me confia-t-elle.
Je crois que, à cet instant même, je compris enfin ce que cela signifiait que d'être... ce que je suis... C'est une malédiction, qui ne fait que se perpétuer, au fur et à mesure que nous grandissons, c'est quelque chose que nous ne pouvons fuir, quelque chose qui nous hantera à jamais. Le danger nous entoure et ne nous quittera pas tant que cette famille demeurera en vie. La famille Collins est, à jamais, maudite...
-- Papa n'a laissé aucun indice, aucune indication, concernant l'identité du meurtrier de Maman? ai-je demandé.
-- Non malheureusement. Nous ne sommes pourtant pas les seules femmes traquées par ces malfrats, mais aucun indice n'a jamais été laissé concernant leur existence ni leur lieu de vie.
-- Tu as dis "femmes"...Les sorcières de Salem ont-elle toujours été des femmes? N'y-a-il jamais eu d'hommes ?
-- Notre don s'applique essentiellement aux femmes, je n'ai jamais connu de sorcier. Mais ton arrière grand-mère, elle, en a connu un... Il se prénommait Léonard. Sa mère n'était dotée d'aucun pouvoir, mais elle était l'une des multiples descendantes de Juna. Si bien que Léonard à ses seize ans, s'est vu recevoir son aural et a développé ses aptitudes comme n'importe quel Maléfiant...
-- Maléfiant? répétai-je en attendant une explication.
-- C'est l'autre nom que nous donnons aux sorcières de feu. Quant à nous, nous sommes aussi appelés Paréliants. Mais peut importe, là n'est pas la question. Les proches de Léonard n'étaient pas préparés à ce genre d'événements, c'était une famille juive, qui vivait sur la côte ouest française, et qui, pendant la guerre, aurait trouvé n'importe quel prétexte pour faire fuir Léonard afin de le protéger de la menace nazie. Alors, à la vue de ses étranges aptitudes, ils l'ont placé dans un foyer au Canada. Là-bas, résidaient des centaines d'enfants juifs, mais aussi quelques poignées d'enfants battus, maltraités, ou encore souffrants de troubles psychologiques. La plupart des enfants y demeuraient heureux, ne connaissant pas la cause de leur exil. Ils y étaient instruits, logés, nourris et enfin soignés. Ma mère travaillait là-bas en tant qu'infirmière, un soir elle reçut, dans son cabinet, un enfant fiévreux et nauséeux. Elle le traita comme n'importe quel refugié, mais quand il eut levé les yeux, elle reconnut cette flamme dans ses yeux, la chaleur de sa peau et la colère non maîtrisée qui prenait peu à peu possession de son corps. Alors elle prit peur, il y avait si longtemps qu'elle n'avait pas vu de Maléfiants, elle démissionna, et s'enfuit discrètement du foyer. Jamais on ne sut ce qui lui arriva.
-- Pourquoi avons-nous si peur de nos semblables? Après tout, ce sont nos sœurs...
-- Nos cohabitations n'ont entraîné que malheurs et destructions. Le seul moyen de vivre en harmonie avec eux et de continuer notre chemin, loin d'eux. Cela n'empêche pour autant que nous côtoyions les mêmes lieux, simplement, pas au même moment, comme cette clairière... Regarde, Ambre, regarde comme une sorcière...Je compris que je marchais sur la terre où nos soeur maléfiques avaient elles-mêmes demeuré. Je tournais autour de l'arbre plusieurs fois en me forçant à trouver un détail, un indice digne des révélations que l'on m'a faites depuis hier. Une écorce plus brune que les autres? Des fourmis escaladant le tronc les unes derrières les autres, comme des humains? Tout ces suppositions s'avéraient ridicules et puériles. Puis, je me souvins soudainement, d'une phrase que ma grand mère me répétait sans cesse lorsque que j'étais enfant: "Si tu ne vois rien de ce qui semble sauter aux yeux à n'importe qui, prends du recul et observe, tu es différente..."
Je reculai alors d'un pas hésitant, sans pour autant quitter le grand chêne des yeux. Je fis courir mon regard sur toute sa surface, et ce que je vis à cet instant, me fis sourire. Fière de moi, je retroussai mes lèvres en dévoilant mes plus belles dents. J'étouffai un cri de joie en voyant des centaines de milliers de noms gravés sur le tronc de l'arbre. Ils étaient tous écrits différemment, certains aux caractères plus gros, d'autres à l'écriture plus arrondie, je pus même deviner d'autres alphabets: russe, arabe, chinois... Tous les prénoms qui y figuraient étaient visibles, malgré leurs chevauchement: Katarina, Valérie, Kate, Cindy, Chloé, Sandra, Élis ou encore April. Je restai de longues minutes, ainsi, admirant toutes ces lettres, elles me fascinaient aussi bien les unes que les autres. Je n'avais jusque ici remarqué le regard d'Helen posé sur moi, attendrissant, réconfortant.
-- Ce sont....
-- Nos ancêtres, me coupa-t-elle, notre passé, notre présent et notre futur. Ce chêne recense toutes les sorcières, aussi bien de glace que de feu. À la réception de son aural, chaque maléfiante ou paréliante se rend ici afin de graver, à son tour, son prénom dans le bois de l'arbre ensorcelé.
Cela fait des siècles que nous perpétuons cette tradition et elle n'est pas prête s'arrêter. Si je t'ai conduite ici aujourd'hui c'est pour que tu prennes part à ce rituel.Sur ce, elle déposa son gros sac à dos sur la pelouse et en sortis un petit couteau. Elle tendit ce dernier vers moi en m'adressant un sourire rempli de fierté et de reconnaissance. Encore incrédule, je saisis le manche du canif. Il était lourd mais facile d'utilisation. Sur la lame argentée était gravé d'une jolie écriture penchée mon nom de famille. Je me retournai vers le tronc et écartai les jambes de sorte à fournir à mon corps l'équilibre nécessaire à cette action. Je lançai un dernier regard à Helen qui versait des larmes discrètes. Je déposai délicatement la pointe aiguisée du couteau sur l'écorce et exerçai une forte pression afin de créer une entaille. Je me rendis compte assez rapidement que mes efforts étaient inutiles, car le simple frottement de la lame sur la matière, qu'il soit faible, doux ou encore léger, laissait apparaître en une lueur dorée, les lettres. Au bout de quelques secondes, je pus décripter sans peine les cinq caractères de mon prénom. Je pris alors du recul afin d'observer la nouvelle marque laissée sur l'arbre. Ma gravure encore fraîche scintillait contrairement aux autres qui elles avait pris l'aspect naturel de n'importe quel mot laissé sur un tronc. Je ne sais exactement combien de temps je restai ainsi, mais au bout d'une courte durée, les lettre cessèrent de briller et prirent la même apparence que les prénoms qui les entouraient. Quelque peu déçue par ce changement si radical, je baissai la tête et sortis de la transe magique qui m'avait envoûtée. Entre temps, Helen s'était assise au pied notre arbre ancestral, et avait déballé un sandwich (signe d'impatience). Je marchai d'un pas lent vers elle et m'installai à mon tour sur la nappe posée au sol. En me voyant arriver ainsi ma grand-mère lâcha brusquement son déjeuner et posa une main réconfortante sur mon dos. Puis après quelques caresses maladroites qui se souhaitaient tendres, elle murmura doucement dans mon oreille:
- Ça y est ! Tu es officiellement et à jamais une sorcière de glace. Félicitations Ambre ! a ajouté Helen avec un sourire chaleureux.

VOUS LISEZ
De glace ou de feu
FantasyAmbre, 16 ans, semblait enfin avoir repris sa vie en main, 3 ans après la mort de ses parents. Elle habite désormais chez sa grand mère dans le Minnesota. Mais un matin d'hiver, une curieuse légende racontée pendant son enfance parut prendre tout so...