CHAPITRE 1

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Aujourd'hui est un dimanche de novembre ordinaire. Le froid commence à se faire sentir dans le Minnesota, il y a de la buée sur les vitres des voitures, le brouillard givrant s'est installé depuis maintenant quelques semaines et le vent frais secoue avec ardeur les branches des sapins qui bordent l'étang. Ce dernier ne tardera pas à geler. J'aime sortir dans ces jours blancs et froids, me poser sur la rive et écrire sur tout, n'importe quoi. L'écriture a toujours été un refuge pour moi, je n'ai jamais eu beaucoup d'amis, j'ai donc naturellement trouvé un grand réconfort dans ce domaine. J'y ai laissé tant de fois les pensées qui oppressaient ma conscience et, me retrouver à nouveau, chaque jour, devant une nouvelle page blanche à remplir me procure une sensation de liberté et de sécurité.
Vous pouvez dorénavant imaginer où je me trouve à ce moment même : assise, emmaillotée dans une vieille couverture, au bord du lac d'Alvarado. Après m'être confortablement installée sur la pelouse humide, je dégaine mon journal, mon stylo plume et laisse mon esprit voyager, vagabonder et explorer le vaste monde des mots. Quand je suis ici, c'est comme si quelqu'un s'était amusé à faire tourner les aiguilles de l'horloge deux fois plus vite. Si bien que quelques heures plus tard, la voix lointaine mais tonitruante de ma grand mère réussit à me tirer de mes rêveries.
-- Ambre! On passe à table! Maintenant! Pas dans dix ans! cria-t-elle.
Ma tutrice avait, comme à son habitude, brandit son bon vieux mégaphone afin que le son me parvienne. Notre pavillon, une grande maison parmi tant d'autres, se situe à deux cents mètres du lac, dans un petit village de 1500 habitants. Ici tout le monde se connaît, tous le monde fréquente les mêmes commerces, les mêmes écoles... Tout le monde connaît donc ma tragique histoire. Les rumeurs s'ébruitent vite dans les petites villes... Et l'on peut dire que le voisinnage ne se garde pas de les répandre...
Ma mère est décédée il y a trois ans et demi, elle a cédée, non sans peine, à un cancer de la thyroïde. Jenna Collins a passé ses six derniers mois dans un hôpital, soignée par des médecins incompétents... Que pouvait-on attendre de plus de la part d'un si modeste service médical? Ah Alvarado, ma chère petite ville.... Tu nous as causé bien des problèmes ! Les docteurs y sont rares et les cancérologues, introuvables... La mort de ma mère nous est tombée dessus d'un seul coup. Comme les averses de printemps... Mais... La peine a duré bien plus longtemps... Toute ma famille se soutenait mutuellement, ce fut douloureux pour nous tous, et surtout pour ma grand-mère, Helen, qui avait pour sa part, perdu sa fille.
Alors que nous essayions tant bien que mal de guérir de ce drame, mon père, lui, a succombé à la tristesse et à la douleur. Deux mois après le décès de ma mère, nous l'avons retrouvé au bout d'une corde, dans notre salon. Il n'a pas été aussi fort que nous... "La mort l'a emporté avec elle" m'avait-on dit. Mais la vérité est qu'il lui a tendu les bras et que les ténèbres n'ont pas su y résister.
Je ne l'avais jamais vu comme un lâche, mais mon opinion diverge depuis cet événement.
Comment avait-il pu m'abandonner? N'étais-je donc pas importante à ses yeux? Ne passai-je donc pas avant sa petite personne? Ne méritais-je pas son entière attention et tout son soutien après ceci?
Tant de questions auxquelles il ne pourra jamais donner de réponse.

Sur ma demande, Helen a emménagé chez moi, notre maison à tous les trois est le seul souvenir matériel que j'ai d'eux. Mon père avait brûlé toutes les affaires de ma mère après sa mort. La vue de ses effets personnels lui rappelaient, soit disant, à quel point maman lui manquait.
Plus aucune trace, les souvenirs se sont envolés et le bonheur avec...
Il n'avait pensé qu'à lui et cet acte reflétait parfaitement son égoïsme.

       Je me levai, ramassai ma vieille couverture, et courus vers la maison. Je pénétrai dans le couloir sombre, déposai mon manteau sur son portant, et enfilai mes pantoufles en un seul et même mouvement. Une fois à table, je gardai le silence, mais ma grand mère le brisa :
-- Alors? Comment s'est passée ta journée? Tu as rencontré de nouvelles...personnes sur la plage? questionna-t-elle avec un sourire forcé.
-- À ton avis ? maugréai-je sans quitter ma soupe des yeux.
-- Eh bien, je suppose que non, en déduisit-elle. Tu sais tu devrais essayer de parler aux gens, pour une fois. Se faire des amis permet... d'avoir quelqu'un sur qui compter. Quelqu'un qui serait toujours là pour toi... Quelqu'un qui pourrait t'aider à guérir...
-- Écoute Helen, mets-toi ça dans la tête. Je n'ai besoin de personne, je n'ai pas besoin d'aide et surtout, je n'ai pas besoin de guérir de quoi que ce soit, parce que je vais bien et je ne suis pas malade comme maman l'était...

Je l'ai blessée ce soir-là. Elle jouait frénétiquement avec ses couverts en me lançant des regards déçus. Toute forme d'enthousiasme avait quitté son visage. Déception. Je n'étais que déception à ses yeux. Elle ne me comprend pas, personne, PERSONNE, ne me comprend. Et j'ai bien peur que personne ne réussira jamais à me comprendre...

De glace ou de feuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant