- Eyvan -
Mes yeux fixent les hautes cimes des séquoias, de l'autre côté de la fenêtre de toit. Je me laisse couler dans les draps, sur le dos, bras ouverts.
J'ai la tête qui tourne de ma nuit trop courte, le sommeil m'a fui. Je pourrais sans doute m'accorder une grasse matinée, mais je n'ose pas fermer les paupières : j'ai trop peur de ce que je retrouverai derrière.
De l'autre côté de la cloison, le rire de Yana résonne, ponctué par la voix douce de Théo. Je souris à moitié dans ma brume éveillée.
Les arbres se balancent dans le vent au-dessus de ma tête. J'ai passé presque un tiers de ma vie assis ou allongé. Leur verticalité me fascine, moi qui suis resté si peu de temps déplié.
Je crois que je serais capable de demeurer longtemps comme ça, à ne rien faire. Plus les jours ici s'enchaînent et nous rapprochent de la fin de la mission, moins j'ai d'énergie. Je n'ai même plus envie de bosser pour Oblivano Constructor. Quand nous aurons achevé la mission, ça sera retour direct à la case départ, à l'Institut Rive, et la simple pensée de ce qui nous attend fait naître en moi une bouffée d'angoisse.
Pourtant il va bien falloir que je me mette au travail. D'une main, je finis par attraper la potence suspendue au-dessus de moi pour m'asseoir. Je note que mon fauteuil roulant est toujours là, parallèle au lit. Depuis que Théo s'est amusé à le planquer plusieurs matins d'affilés pendant que je dormais encore, soi-disant pour m'inciter à me lever plus tôt, je me méfie.
— Oh, miracle ! Eyvan réveillé sans qu'on ait besoin de venir quinze fois le lui demander.
Quand on parle du loup... Théo entre sans cérémonie dans ma chambre, déjà habillé et installé dans son fauteuil roulant. Je m'ébroue, chassant les rêves qui collent à mes paupières.
— Ferme-la, grogné-je.
Je me réveille tard le matin, parce que je ne parviens souvent qu'à m'endormir à l'aube. Le reste de la nuit, mon esprit est hanté par des souvenirs d'avant, des moments de terreurs nocturnes aussi. Cette nuit n'a pas fait exception, il peut sans mal le deviner à mon bureau impeccablement rangé — je suis sûr qu'il m'a, comme à mon habitude, entendu trier mes dossiers dans un accès d'angoisse.
Il s'approche de moi avec un sourire et m'ébouriffe les cheveux, ajoutant du désordre à mes mèches châtains qui partent déjà dans tous les sens. Je vois bien dans son regard qu'il devine la nuit horrible que j'ai encore passée. Il sait comme moi qu'il n'y a pas grand-chose à faire pour ça, à part tenter de me la faire oublier.
— Ça ne va pas te ravir, mais Gaethan veut te parler.
Je soupire.
— Dépêche-toi. Il a dit qu'il devait te voir le plus tôt possible.
Je pousse un nouveau soupir et me transfère dans mon fauteuil roulant posté à côté du lit, comme chaque matin depuis cinq ans.
Théo ne résiste pas à l'envie de me lancer mon oreiller en pleine figure avant de partir en trombe dans le couloir. Je me retiens de le poursuivre.
Je prélève dans l'armoire un tee-shirt que j'enfile rapidement, un pantalon avec nettement plus de difficultés — cinq années de paraplégie n'ont pas rendu le geste facile pour autant —, puis je me dirige vers la salle de communication.
Un mur de la large pièce est occupé par une baie vitrée qui offre une vue magnifique sur le lieu-dit d'Oblivano. Celui d'en face laisse presque entièrement place à un écran.
— D'Agent 1 à Gaethan Jorn, chargé de la mission Oblivano Constructor, annoncé-je d'une voix que je souhaite claire mais qui se révèle teintée d'inquiétude.
VOUS LISEZ
Oblivano
Science FictionLe monde se divise à présent en deux catégories : les Utiles bien portants qui vivent dans des villes ultra technologiques, et ceux qu'on a fini par nommer les « Inutiles ». Handicapés ou malades dans une société où la concurrence est rude et la per...