3. Gladiateur à roulettes

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- Yana -


Eyvan est encore devenu un volcan.

C'est ce que je me dis, quand

je le vois allongé sur le canapé.

Même sous l'effet des sédatifs, son visage a gardé la dureté de la lave refroidie.

Théo pousse son fauteuil vers moi, l'air grave.

— Il a à nouveau pété un câble.

Pas de reproches dans sa voix. Juste une pointe de tristesse.

Si Eyvan est un volcan, Théo est une mer. Agitée parfois, mais le plus souvent calme, mer d'huile, mer d'encre. Il n'a pas son pareil pour éteindre le feu de rage qui s'empare souvent de notre ami.

— Il a peur de ce qui nous attend. Il ne leur fait pas confiance.

— Tu crois que je ne le sais pas ? souffle Théo. Il m'en parle parfois, à mots couverts. Il n'oserait jamais me dire ses craintes en face, mais il est terrifié à l'idée de revenir à l'Institut. Il a toujours su, bien sûr, que nous n'étions là que pour un temps, qu'on ferait les relevés, qu'Oblivano Constructor entamerait la construction des logements et qu'on retournerait à notre vie d'avant. Mais il n'en veut pas. Il ne veut pas qu'on lui rappelle qu'il est un Inutile et que sa place n'est pas ici.

Je lui prends doucement la main alors que son regard douloureux dérive sur le corps endormi d'Eyvan.

— Lequel d'entre nous en a envie ?

— Aucun. Mais ce n'est pas parce qu'on nous affuble d'une étiquette stupide que l'on doit se laisser atteindre. Eyvan a été blessé par ce rang d'Inutile. Il lutte chaque jour pour que sa paralysie ne le définisse pas. Retourner à l'Institut Rive revient pour lui à capituler.

— Pas pour toi ?

Il jette un coup d'œil vers ses jambes inertes et hausse les épaules.

— Je suis peut-être handicapé, mais j'ai trop conscience de ce que je suis d'autre pour laisser à des gens le soin de dire que je ne vaux rien.

J'acquiesce. Je le comprends.

— C'est pareil pour moi. Si le monde avait été différent, si le système social ne s'était pas effondré, on n'en serait pas là. « Inutile », ça ne nous définit pas.

Mes yeux glissent sur le visage contracté d'Eyvan.

— On doit l'aider. Il doit arriver à s'apaiser avant que l'on retourne à l'Institut.

Théo opine sèchement. Un petit bip se fait entendre et il roule jusqu'à un écran encastré dans le mur.

— Le système d'irrigation d'une des serres dysfonctionne. Je vais jeter un œil. Eyvan devrait dormir une vingtaine de minutes encore. Ensuite, je pense qu'une petite discussion s'imposera à son réveil.

Le ton de mon ami est anormalement dur. Je penche la tête, m'abîme dans le bleu céruléen de ses yeux qui étincellent.

Il me rappelle celui qu'il était, quatre ans plus tôt, à l'hôpital, avant que la poussière ne recouvre notre ville et ne nous oblige à fuir - conséquence du bouleversement climatique.

Il m'offre un sourire rassurant – s'il parle ainsi c'est parce qu'il s'inquiète - , et file dans le couloir. Je regarde les portes de l'ascenseur se refermer sur lui dans un grincement, puis je reporte mon attention sur Eyvan.

Eyvan, mon compagnon d'infortune, comme Théo.

Eyvan, mon frère-volcan, mon frère-foudre.

Mon frère d'airain, lorsqu'il se fond dans cet alliage improbable de fureur, de métal, de plastique et de chair.

OblivanoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant