- Yana -
— Je te sens perdue, Yana.
Je lève les yeux vers Osvard qui vient de s'installer à côté de moi sur le rebord de la piscine. Il croise ses jambes devant lui tandis que je laisse mes mollets s'enfoncer dans l'eau. La Perle du Cosmos est passée en mode nocturne et je devrais me reposer, mais je n'y parviens pas.
— Pourquoi ne nous avez-vous rien dit ?
— Je ne comprends pas ta question.
Son ton paraît sincère. Pourtant, je suis presque sûre que la pensée qui ne cesse de m'effleurer depuis que Jorn a provoqué le duel est fondée.
— Vous saviez que ça finirait comme ça. Un combat à mort. C'est pour ça que vous avez entraîné Eyvan.
Il hésite.
— Disons que je m'en doutais. Oblivano Constructor ne pouvait invoquer aucune loi terrestre, au risque de se retrouver avec une rébellion pirate sur le dos. S'il l'avait fait, il y aura des dizaines de vaisseaux autour de nous en cet instant, prêt au combat. Votre Gaethan Jorn le sait. J'ai fait des recherches sur lui, quand j'ai appris pour votre histoire. J'ai deviné que s'il ne lâchait pas l'affaire, il serait assez fin pour jouer selon nos propres règles. Le duel à mort était le moyen le plus sûr de vous faire disparaître. J'ai anticipé.
— Pourquoi Eyvan ? J'ai mes jambes, je suis peut-être plus frêle, mais a priori je suis plus efficace, sans vouloir discriminer Eyvan.
Il soupire.
— Le choix de Tilden se portait sur toi. Il te trouvait apte à lire les mouvements de tes adversaires, plus instinctive sans être impulsive. Que tu possèdes l'usage de tes jambes représentait aussi a priori un atout. Et puis, j'ai perçu la souffrance d'Eyvan, et je me suis dit d'abord que je te préparerai plus tard, que je m'occuperai dans un premier temps de lui pour l'aider à renouer le lien avec son corps. J'ai eu moins de temps que prévu.
Mon ventre se serre.
— Vous regrettez ? demandé-je immédiatement.
Il a un petit rire.
— Calme-toi... Non, je ne regrette pas. Eyvan est doué. Il s'en sortira très bien, et il y a des chances pour que son adversaire soit déstabilisé et le sous-estime, ce qui jouera en sa faveur.
Il y a une telle conviction dans sa voix que je comprends qu'il ne le dit pas pour me rassurer.
— En outre, un argument indiscutable penche en faveur d'Eyvan. Il est en colère. En temps normal, je ne m'appuierai pas dessus, mais là... Il veut prouver au monde entier qu'il peut gagner le combat. Au-delà de sa peur, il a le goût du défi.
— Ça suffira ?
— Peut-être pas, mais c'est un bon début.
— Un bon début ? Je vous rappelle qu'on risque tous de mourir ! « Un bon début », ce n'est pas assez !
— Fais-moi confiance.
— C'est facile à dire !
Osvard a un petit rire. Mais lorsqu'il me regarde, son air a repris tout son sérieux.
— Non, Yana. Ça ne l'est pas, mais c'est pour ça que c'est important.
Je crois que je comprends ce qu'il essaie de dire. Quelle que soit l'issue de cette histoire, les Kaliena auront une responsabilité. Si Osvard me demande de lui faire confiance, c'est qu'il doit être certain de leur installation, à lui et à son frère, certain que les mots sculptés par Tilden ont fait mouche et susciteront vite un changement d'opinion, certain enfin de son aptitude à former Eyvan au combat.
Il risque forcément quelque chose, pour avoir piraté l'ensemble du réseau de communication, citoyen de l'espace ou pas. Il ne peut pas se permettre d'échouer : si nous tombons, il tombera avec nous.
— Merci.
Il accueille ce mot avec le silence.
Son regard dérive sur le mur face à lui. Il sourit.
— Merci à vous. Merci à vous de donner du sens à mon exil.
Il y a de la douleur dans ces deux phrases, mais une souffrance ramassée, contenue.
Je n'ai qu'à les déployer, les entrouvrir légèrement pour saisir ce qu'elles renferment
Le désespoir,
La fuite de ceux
qui sont trop amers, trop colères
pour trouver l'énergie en eux de se battre.
Il est comme moi. Comme Eyvan. Comme Théo.
Nous qui sommes partis comme on détale,
pour l'enfer vert d'Oblivano un beau matin.
Et sommes de ceux qui attendent pourtant, toute leur vie
une lumière dans la nuit, et qui la trouvent enfin,
tremblante au milieu de ce grand champ d'étoiles
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Oblivano
Sci-fiLe monde se divise à présent en deux catégories : les Utiles bien portants qui vivent dans des villes ultra technologiques, et ceux qu'on a fini par nommer les « Inutiles ». Handicapés ou malades dans une société où la concurrence est rude et la per...