Oblivano

8. Valn Lenris

- Eyvan-

La nuque pâle de Yana contraste furieusement avec le métal noir du canon collé à sa peau.

Le type a décidé que ce serait elle qu'il tiendrait en joue, peut-être par pur sens pratique — assis dans nos fauteuils et lui debout il lui sera compliqué de maintenir la pression de son arme — ou parce qu'il a compris que nous n'abandonnerions jamais Yana.

Nous nous déplaçons en silence dans Novcita. L'homme connaît le terrain, évite les avenues passantes pour s'enfoncer dans des rues plus étroites. Une chose est sûre : ce gars n'est pas un citoyen modèle.

Yana, d'abord livide, a repris contenance et avance poings serrés. Mais je sais qu'une part d'elle-même lutte toujours contre la crise de panique qui menace de la submerger, comme à chaque fois qu'elle est confrontée à une situation stressante.

Même moi, je crois que je pourrai me laisser envahir par l'angoisse.

Les rues me procurent un sérieux sentiment de malaise, et ce n'est pas seulement la peur de tomber dans l'œil d'une caméra. La moindre portion d'immeuble est truffée de publicités qui me rappellent que je n'ai rien à faire ici. Si les lobbies ont perdu gros lors de l'échec du plan d'éradication du handicap par le transhumanisme, ils ont finalement tout gagné avec la promotion du self-care, qui s'affiche de partout. D'autant que l'injonction du corps sain et fonctionnel a fini par se généraliser au monde entier, même dans une ville mineure des Terres Pionnières comme Novcita.

Et que je prenne soin de moi avec des crèmes de jour, des crèmes hydratantes, des crèmes pour repulper la peau. Profitez de nos abonnements exclusifs dans nos salles de sports modernes tout confort, avec un coaching premium, le premier mois est gratuit ! Gardez la forme avec nos gélules enrichies en vitamines et minéraux : Nouveau, elles existent maintenant associées à un actif révolutionnaire qui brûle les graisses ! Tout ça s'étale aussi au l'étage sécuritaire : caméra intégrée à votre œil et signalée par un logo à aborder sur votre poitrine pour prévenir les agressions ; puces pour suivre les déplacements des enfants, et leur taux de sucre, leur rythme cardiaque, leur nombre de pas par jours ; matériaux anti-bobos pour les écoles, les chambres, les salles de jeu... Quelques jours avant mon départ pour les Terres Pionnières, un nouveau à l'Institut Rive m'avait raconté qu'on venait de mettre au point des couteaux dont les lames s'émoussaient dès qu'elles quittaient la surface de l'aliment à découper. Il y avait aussi une option qui contrôlait la quantité de nourriture qu'on venait d'émincer. Histoire de ne pas perdre un doigt en préparant son repas, fixé à exactement quatre cents calories, régime minceur et forme oblige.

L'homme s'arrête enfin face à une porte blindée et applique son pouce sur un lecteur d'empreintes biométriques. La poignée s'abaisse sans un bruit.

— Après vous.

J'entre le premier, suivi par mes amis. Une lumière jaune inonde la pièce tandis que la porte se referme et se verrouille dans notre dos. Des étagères s'alignent le long des murs, débordantes d'objets en tout genre. Un établi est posé dans un coin, presque enseveli sous les outils, très peu self-care. Il règne dans la salle un chaos vertigineux.

Seule une large table en métal au centre, est vide de tout objet et contraste avec le désordre ambiant.

— Installez-vous, nous lance-t-il à Théo et à moi avant d'ajouter : freins serrés et mains bien à plat sur la table.

Nous obéissons tous les deux à contrecœur. Il s'assied sur une chaise en face de nous et réclame que Yana prenne place à côté de lui sans la libérer de la menace de son arme.