- Théo -
La bouche du canon aimante mon regard et déclenche un frisson glacial le long ma colonne vertébrale.
Je me force à en dévier le regard pour le braquer sur celui qui me menace. Il me surplombe de plusieurs têtes, mais si je pouvais me mettre debout, je ferais sûrement sa taille. Il pose sur moi deux yeux qui se veulent durs.
— Non ! Laissez-le ! Laissez-le, Théo...
Je lève une main pour inciter mon amie à se taire. Eyvan se replace dans son fauteuil derrière moi, poings serrés.
— Vous m'assassineriez ? Devant vos concitoyens ? Que dira la justice ?
— Nous avons obtenu l'accord de la justice.
— Et celui du peuple ?
— Le peuple veut la sécurité. Or vous le mettez en danger.
— Vous biaisez. Vous savez très bien ce qu'il va se passer. Une part de la population va se soulever, pas pour nous, mais pour protester contre la corruption et l'opacité qui entourent votre entreprise. Si vous obtenez l'amnistie, pourquoi eux n'y auraient-ils pas droit ? Si vous avez créé des emplois pour bâtir vos villes, pourquoi ne les avez-vous pas offerts aux utiles ?
— Nous nous sommes déjà expliqués auprès de nos concitoyens, rétorque-t-il. Ils comprennent que pour garantir le bonheur du plus grand nombre, pour raison d'État, la loi peut être adaptée. Et ils l'acceptent, car nous les préservons de la lie.
— Et cette lie justement, vous l'avez rendue effrayante. Vous avez fait d'une partie de votre corps social votre ennemie. La deuxième chose qui va se produire est celle-ci : les gens en auront assez de craindre la maladie et la vieillesse et de s'y voir reléguer. Le gouvernement eusolanien va tomber. Et d'autant plus vite si vous appuyez sur cette détente. Car ce coup de feu m'est peut-être destiné, mais il pourra viser à l'avenir n'importe quel Inutile, c'est à dire possiblement chaque homme que la vie aura fait trébucher.
Je reste calme, mais je sais déjà que j'ai échoué. Les doigts de la personne qui me tient en joue se raffermissent sur la détente. Aucun éclair de lucidité ne passe sur son visage.
Que du mépris.
Ma tête tourne un peu sous l'effet de la peur. Je lève les yeux vers la coupole qui déborde d'étoiles. Me ressaisit.
Gagner du temps. Je dois gagner du temps. Pourquoi donc, alors que ma mort est inéluctable ? Je ne sais pas. Mais je m'accroche à l'idée de pouvoir respirer une seconde de plus.
— Qu'avez-vous à répondre à cela ?
Il hausse les épaules.
Et dans la seconde qui suit, il tire.
***
Une silhouette entre dans la pièce comme une tornade, saisit le poignet de l'homme et le tord.
La balle qui devait atteindre Théo part s'enfoncer dans le tatami qui l'engloutit tandis qu'un coude s'abat sèchement sur la mâchoire de son propriétaire qui se fissure.
Il faut une seconde supplémentaire à Osvard Kaliena pour mettre à terre l'homme qui a filmé toute la scène et rattraper au vol la caméra.
— L'histoire aurait pu s'achever ici, déclare le pirate de sa voix grave. Heureusement, Théo avait anticipé pareille velléité de la part d'Oblivano Constructor — car, soyons clairs, l'élimination de ces jeunes gens était programmée, quel que soit le gagnant. Et étant donné que je trouvais son discours fort intéressant, je vais le laisser poursuivre ! Nous contrôlons la transmission de ces images, il est inutile de chercher à y mettre fin.
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Oblivano
Science FictionLe monde se divise à présent en deux catégories : les Utiles bien portants qui vivent dans des villes ultra technologiques, et ceux qu'on a fini par nommer les « Inutiles ». Handicapés ou malades dans une société où la concurrence est rude et la per...