Elle était comme ça. Elle sonnait souvent en pleine nuit à ma porte, j'ouvrais et je la trouvais là, les yeux grands ouverts. Elle semblait effrayée, je l'invitais à entrer, posais mes bras autour de son cou et alors elle se mettait à pleurer de façon incontrôlée. Je m'asseyais sur le canapé, elle s'allongeait et posait la tête sur mes genoux. Elle pleurait en silence et j'ignorais pourquoi. Quand elle se calmait, je me levais et je préparais un thé, puis nous discutions de longues heures.
Elle avait soudain été prise de panique, mal au cœur, mal au ventre, besoin d'air. Sans raison apparente. Alors elle avait marché jusque chez moi. Je lui avais plusieurs fois proposé de prendre le double des clés de mon appartement, mais elle avait toujours refusé. J'avais dit ce sera plus pratique pour toi, tu n'auras qu'à ouvrir la porte et me retrouver dans mon lit. Nous discuterons là bas, ou mieux tu pourras t'endormir directement à côté de moi. Elle avait toujours refusé. Je veux te laisser ton intimité. C'est ce qu'elle disait mais ça me paraissait insensé puisque de plus en plus souvent, elle arrivait en panique chez moi, complètement perdue, au milieu de la nuit.Un jour, nous étions ensemble sur son canapé, quand elle me prit soudainement le bras. Elle avait plongé ses yeux dans les miens, et il y avait une lueur qui brillait au fond de ses pupilles. Elle a dit "Mat, emmène-moi au cinéma, je veux voir ce nouveau dessin animé!" En souriant. J'ai accepté. Que pouvais-je faire de toute façon ? Elle demandait quelque chose et j'exécutais aussitôt.
La salle était remplie de familles et de jeunes enfants. Ça sentait fort le popcorn et je détestais ça mais j'aurais tout supporté pour voir son sourire illuminer son visage. La salle d'un coup est tombée dans le noir et elle m'a agrippé le bras.
Dans la salle ont résonné des rires d'enfants, et elle s'est détendue petit à petit, elle a posé sa tête sur mon épaule et a lâché l'étreinte. Et malgré l'obscurité je l'ai sentie sourire.
La présence des enfants lui était très agréable et, régulièrement, elle me traînait dans les parcs au moment de la sortie d'école, elle m'entraînait au cinéma voir des films pour enfants.
Je crois qu'elle cherchait à retrouver une forme d'insouciance, d'innocence perdue plusieurs années auparavant. Elle cherchait à se faire emporter chaque fois, par la vague de l'enfance, et pourtant chaque fois ne subsistaient que ses peurs et ses angoisses.