C'était un samedi soir. La première fois que je l'ai vue, c'était un samedi soir.
Lina m'avait demandé de sortir avec elle et ses amies. On te voit plus. Alors j'avais dit oui. J'avais dû me préparer. Elles avaient voulu aller en boite et je les avais suivies. J'avais bu des litres d'alcool et à cinq heures du matin, les filles et moi nous retrouvions sur le trottoir, devant la boîte de nuit qui fermait. Pour éviter de tomber, je tenais fermement le bras de Lina. J'avais passé une très bonne soirée, j'avais ri et j'avais dansé. J'avais croisé à plusieurs reprises le regard d'un homme qui maintenant s'approchait de moi.
Philippe était assez grand, plus que moi. Il avait un carré blond, une barbe naissante, et portait une boucle d'oreille. C'était un anneau, je crois. Il avait mon âge, des cigarettes et surtout, surtout il n'avait pas l'intention de rentrer se coucher.
Vous voulez venir ?
Il allait finir la nuit chez une amie qui avait invité plusieurs personnes.
Ça peut être chouette.L'appartement était joli, il y avait de grandes baies vitrées, une cuisine américaine qui donnait sur un salon qui paraissait spacieux mais surtout blindé de monde.
J'avais commencé par me servir un nouveau verre en riant avec Philippe. J'avais fini par l'embrasser car j'en mourais d'envie et je lisais à son rire que lui aussi. Je l'avais embrassé, avant de le laisser pour aller fumer une cigarette sur le balcon.
Elle était assise sur une chaise, les pieds sur la rambarde. Songeuse.
Bonsoir.
Elle avait détourné la tête. Bonjour, je ne te connais pas.
L'on m'appelle Mat. Et toi ?
Elle ne me quittait pas des yeux, mais pris un temps pour répondre.
J'aimerais m'appeler Naëlle.
C'est un plaisir de te rencontrer, Naëlle.
Elle avait ri et j'avais pris place à côté d'elle, avant que le silence ne s'installe.Je décidais de le briser après quelques minutes.
Que fais-tu dans la vie, Naëlle ?
Elle s'était mise à sourire, sans me regarder. Dans la vie, je lis, avait-elle répondu. Je joue de la guitare et du piano, je chante. Je me balade dans la rue et dans les parcs, je marche sur les feuilles mortes et j'aime les entendre craquer sous mes pas, je rencontre des gens incroyablement beaux et courageux, et puis j'écris aussi. Voilà.
Je n'avais rien répondu, et j'avais simplement souri.
Elle avait repris; les gens ne posent jamais les bonnes questions. Quand ils disent tu fais quoi de ta vie ils veulent savoir combien tu gagnes, à quelle heure tu te lèves, tu manges, tu dors, avec qui tu bosses, dans quel domaine. C'est lucratif ou pas, ça paye bien? Ils ne disent jamais es-tu épanouie Naëlle ? Voudrais-tu changer de boulot ? Ils disent tu fais quoi dans la vie mais ne demandent jamais qu'aimes-tu dans la vie, quels sont tes loisirs, possèdes-tu des étoiles, écris-tu des poèmes, collectionnes-tu les coccinelles, fais-tu des bouquets de marguerites ? Et pourtant quel est le plus important, a ton avis Mat ? Le travail et l'argent qu'il rapporte, ou bien les bouquets de marguerites?
J'avais répondu les marguerites, évidemment.