Elle avait préparé son discours, ses yeux la trahissaient. Elle s'était postée devant le miroir dans l'entrée, avait essayé mille couleurs de rouge à lèvres, avait finalement choisi le premier. Puis elle s'était assise par terre, avait longuement fixé son reflet, insatisfaite, comme souvent. Elle avait pris une grande inspiration, je la voyais d'ici, et avait commencé. Au début je voulais te parler d'un truc important pour moi, j'ignore si tu t'en souviens. Elle avait pesé chaque mot, être le moins blessant possible, mais dire les choses tout de même. Je le savais, je commençais à la connaître. Elle avait révisé son discours plusieurs fois, peut-être avait-elle même déclamé sa prose à sa soeur, qui l'avait aiguillée. Peut-être était-elle allée chercher le chat posé sur son lit pour répéter la scène. Il avait alors ouvert un œil et l'avait écouté, attentivement. Quand elle avait fini, elle avait demandé alors ? Et il avait miaulé, en guise d'acquiescement. Elle n'avait pas voulu manger, le ventre noué par ce qu'elle s'apprêtait à faire. Quand on était arrivées, elle avait pris une pinte, sûrement pour se donner du courage. Moi, j'avais pris un jus. Moi, j'étais prête. Nous nous étions assises et je m'étais entendue prononcer "alors?" Ça l'avait étonnée. J'avais bousculé ses plans, elle etait déstabilisée mais elle s'était tellement préparée qu'elle n'aurait pas pu flancher. Sous aucun prétexte, je le savais. Moi aussi, j'avais eu le temps de songer à cette rencontre. J'avais fait le tour de mon appartement une trentaine de fois, passant et repassant devant mon mur de l'amour, celui sur lequel j'avais accroché ses mots. Celui où nous apparaissions toutes les deux, sourires aux lèvres et transpirant de bonheur. J'étais passée et repassée devant, ignorant son sourire et mon bonheur qui me filait entre les doigts. J'avais tourné pendant des heures, comme un animal en cage. J'étais passée et repassée devant la bougie qu'elle m'avait offerte, devant le meuble qui cachait la lettre qu'elle m'avait écrite. J'étais passée et repassée devant ma fenêtre, où elle aimait passée des heures, accueillant les premiers rayons du soleil, les yeux fixés sur la petite cour ou sur les autres fenêtres, fascinée, et laissant échapper la fumée de la cigarette d'entre ses lèvres. J'avais tourné et retourné, jusqu'à ce que j'étouffe. Là, j'avais descendu les quatre étages en courant, et j'avais laissé le vent glacé de novembre emplir mes poumons, en fermant les yeux. Elle me filait entre les doigts, je ne pouvais plus la rattraper, c'était trop tard et, je le savais. J'avais mal agi ces dernières semaines, trop sûre de moi, trop sûre qu'elle resterait près de moi pour longtemps encore. Je m'étais trompée, évidemment, j'avais été tellement naïve. On n'aime pas quelqu'un comme moi pour l'éternité, c'est trop difficile. Sa performance était déjà impressionnante. Je m'étais préparée donc, à la rupture.
Alors ?
Gagner du temps. Avoir le temps de respirer. Alors quoi?
Alors je t'écoute.
Inspiration.
Elle avait commencé à parler, et je n'en pouvais déjà plus de l'entendre, je voulais qu'elle se taise. J'aurais voulu me lever et partir en disant te fatigue pas, c'est bon, j'ai compris que tu me larguais. On n'est pas obligé de faire ça tu vois, je me lève, je pars et on s'arrête là. Je l'aurais fait, sincèrement, si elle ne m'avait pas piqué dès le départ. J'ai rencontré une fille. J'ai senti mes sourcils se froncer. Pardon? J'étais obligée d'écouter, d'écouter avec attention et jusqu'au bout. J'avais besoin de voir comment elle allait s'en sortir, par quel biais elle passerait pour me dire qu'elle me quittait, pour une autre, sans honte ni remords. J'avais imaginé que mon attitude lui avait déplu, au point de me quitter, oui, c'est vrai. J'avais imaginé que mon mode de vie ne lui convenait plus, mais je n'avais jamais imaginé qu'elle me quitterait pour une autre. Et surtout pas qu'elle me le dirait, les yeux dans les yeux.
Je me suis retrouvée dans cette situation, où j'aimais bien cette fille et où je t'aimais toi tout court. Je sais que dans ces cas là on préconise de se contenter de celle que l'on aime. Mais si j'en aime bien une autre c'est que je ne peux pas me contenter de toi, pas vrai?
J'ai dégluti et j'ai hoché la tête.
Abréger les souffrances
Couper la tête de l'animal agonisant d'un coup secDonc tu me largues ?
Elle a hésité un instant avant de choisir de m'ignorer.Mes deux semaines de réflexion m'ont menée à cette conclusion: la relation que l'on entretient ne me convient plus. Le couperet était tombé.
Pourquoi?
Je pense que je suis trop exigeante par rapport à ce que toi tu es en mesure de m'apporter. J'ai besoin de plus de présence, pas nécessairement physique, mais plus de présence quand même.
Elle avait dit ça calmement, sans la moindre nuance de reproche dans la voix. Et dans l'élan de l'étonnement je lui avais fait remarquer. Elle avait eu ce rire nerveux et le regard de la remise en question personnelle.
Je ne vois pas d'autres manières de m'exprimer, je n'ai pas l'intention de me disputer avec toi, je fais un constat que je t'expose avait elle répondu dans un sourire.
On pourra quand même se voir alors?
Me rassurer. Savoir qu'elle n'était pas loin quand même. Savoir si elle était sincère, si vraiment elle n'avait pas de ressentiment pour moi. Me rassurer.Elle avait paru soulagée et m'avait répondu oui, si tu en es d'accord. Je n'ai pas l'intention de te lâcher, car au delà du fait que je sois amoureuse de toi, tu es quelqu'un qui compte enornmement pour moi. Encore une fois j'ai senti mes sourcil se froncer, mon coeur manquer un battement. Tu me largues mais tu m'aimes toujours?
Demander confirmation.Oui je t'aime toujours. Je suis amoureuse de toi. Mais parfois, aimer ne suffit pas. Parfois on a beau aimer de tout son coeur, elle s'est raclée la gorge, quelques fois ça ne suffit plus. Je n'ai pas l'intention de pratiquer le polyamour.
Froncement de sourcils. Comment ça?
J'ai jamais profondément souffert du fait que tu voies d'autres personnes que moi. On en a déjà parlé. Mais moi, je n'ai pas l'intention d'entretenir plusieurs relations amoureuses en même temps. Je serais mal à l'aise.
Ironie du sort.